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ils n’ont signé d’ordonnances que pour sanctionner des actes arbitraires dont nous étions les victimes ; ils ont laissé debout les agens qui violaient nos sanctuaires ; ils ne nous ont pas protégé une seule fois sur aucun point de la France ; ils nous ont offerts en holocauste prématuré à toutes les passions ; voilà les motifs de sécurité qu’ils nous présentent ! » Aussi Lacordaire s’adressait-il aux évêques de France eux-mêmes pour les supplier de ne pas accepter leurs futurs collègues de la main de ces ministres et il s’efforçait de les émouvoir en leur décrivant en traits éloquens l’état où l’Église de France serait réduite par un épiscopat recruté au rabais. « À mesure que vous vous éteindrez, disait-il aux évêques, ils placeront sur vos sièges des hommes honorés de leur confiance, dont la présence décimera vos rangs sans en détruire encore l’unité. Un reste de pudeur s’effacera plus tard de leurs actes ; et l’ambition conclura sous terre des marchés horribles… Un épiscopat qui sortira d’eux est un épiscopat jugé. Qu’il le veuille ou non, il sera traître à la religion. Jouet nécessaire des mille changemens qui transportent le pouvoir de main en main, il marquera dans vos rangs toutes les nuances ministérielles et anticatholiques que les majorités vont adorer tour à tour comme leur ouvrage. D’accord en un seul point, les évêques nouveaux plieront leur clergé à une soumission tremblante devant les caprices les plus insensés d’un ministre ou d’un préfet, et dans cette 13abel, la langue de la servilité est la seule qui ne variera jamais. »

Aussi la question lui paraissait-elle tellement grave, que si les évêques demeuraient sourds à ces protestations, s’ils acceptaient dans leurs rangs, s’ils considéraient comme leurs frères des collègues dont l’origine fût impure, Lacordaire annonçait, au nom des rédacteurs de l’Avenir, qu’ils adresseraient leurs protestations à Rome. « Nous les porterons pieds nus, s’il le faut, s’écriait-il en terminant cet article demeuré célèbre, à la ville des apôtres, aux marches de la confession de Saint-Pierre, et on verra qui arrêtera sur la route les pèlerins de Dieu et de la liberté. »


II.

Lacordaire annonçait ainsi plusieurs mois à l’avance (car l’article est de novembre 1830) le voyage qui devait mettre fin aux polémiques soulevées par l’apparition de l’Avenir. Mais avant que ce voyage s’accomplît, il devait avoir encore plus d’une occasion de rompre des lances en faveur de la thèse qu’il avait adoptée : celle de l’indépendance absolue du prêtre qui, désormais, devait être, en France, un citoyen comme les autres, n’invoquant aucun privilège,