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mais n’acceptant aucune servitude, ne relevant que de ses chefs spirituels et n’obéissant qu’aux lois. Il voulut tout d’abord montrer par un exemple éclatant que l’exercice du sacerdoce n’avait rien d’incompatible avec celui de telle ou telle profession libérale. Dans cette pensée, il adressa, le 30 décembre 1830, au bâtonnier de l’ordre des avocats près la cour de Paris une lettre pour le prévenir.qu’il comptait reprendre son stage interrompu au bout de dix-huit mois par ses études religieuses, lettre qu’il terminait par ces mots : « Quoique je ne puisse prévoir aucun obstacle de la part des règlemens de l’ordre, j’userais, s’il en existait, de toutes les voies légitimes pour les aplanir. » La question ainsi soulevée inopinément par Lacordaire était intéressante, sans être absolument nouvelle ; car Lacordaire pouvait invoquer des précédons. Sans remonter jusqu’à saint Yves des Bretons :


Advocatus et non latro,
Res miranda populo,


il pouvait citer les noms de Pierre de Fusigny qui fut nommé cardinal étant avocat, de Pierre de Breban qui était à la fois avocat à la cour et curé de Saint-Eustache, et d’autres encore. Sentant la difficulté, le conseil de l’ordre, qui ne se souciait point de voir figurer un prêtre sur son tableau, fit attendre trois mois sa réponse. La discussion, qui eut lieu dans le conseil au mois de mars 1831, fut longue et orageuse. Contrairement à l’opinion du rapporteur qui concluait au rejet de la demande, Marie soutint que les supérieurs ecclésiastiques de l’abbé Lacordaire étaient les seuls juges de l’opportunité et de la convenance de sa demande, mais que le droit de l’avocat muni de ses titres demeurait intact dans le prêtre. Mauguin, qui appartenait, comme Marie, à la fraction libérale et presque républicaine du barreau, soutint la même thèse. La demande de Lacordaire fut cependant rejetée par douze voix contre cinq. La décision fit quelque bruit et fut même assez vivement critiquée dans la Gazette des tribunaux, qui accusa le conseil de l’ordre d’avoir sacrifié des considérations élevées et libérales aux vieilles répugnances du XVIIIe siècle. Lacordaire annonça l’intention de renouveler sa demande l’année suivante ; mais, l’année suivante, l’Avenir avait vécu, et bien des projets bruyans avaient disparu, avec lui.

Si Lacordaire ne put, comme il l’avait souhaité, endosser la robe par-dessus la soutane pour défendre devant les tribunaux les intérêts catholiques, l’occasion ne lui manqua pas cependant de mettre sa parole et son éloquence naissante au service de la conception qu’il se faisait du prêtre et de son rôle dans la société.