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s’opposer tout haut à l’annexion de l’Italie centrale par le Piémont. Seulement, au fond, il n’aurait pas été très lâché qu’on lui désobéît. C’est à ce moment que Peruzzi fut envoyé par le gouvernement toscan pour combattre la politique officielle de l’empereur et encourager ses dispositions intimes. Il se montra diplomate de premier ordre, aussi ferme pour tenir tête au comte Walewski, ministre des affaires étrangères, adversaire de l’unité italienne, qu’il était habile à arracher à Napoléon des demi-permissions et des aveux compromettans. Ce sont de véritables scènes de comédie que ses dépêches, bien divertissantes, si l’on ne s’attristait de voir les embarras où une fausse politique avait jeté le souverain de notre pays[1]. « Je ne suis pas quitte, disait l’empereur, de mes engagemens avec l’Autriche. — Mais ces engagemens ont-ils une limite ? — Hé ! la limite du possible. » — « Je ne puis cesser d’exercer sur vous une action morale en faveur de la restauration du grand-duc, mais je ne souffrirai contre vous aucune intervention armée. — Nous voudrions bien vous faire plaisir, mais une restauration est impossible sans intervention. — Et, moi aussi, je voudrais bien seconder vos vœux si je le pouvais ! » Voilà le fond des conversations entre Napoléon III et Peruzzi. L’empereur était lié avec l’Autriche, mais prêt à baiser la main qui le délierait ; et il donnait naïvement à entendre qu’on lui ferait grand plaisir en lui désobéissant.

Mais Peruzzi ne se borna pas à agir par voie diplomatique. Avec un prince aussi préoccupé que Napoléon III de flatter l’opinion, la cause de la Toscane était de celles qui se plaident dans les cabinets, mais se gagnent devant le public. Peruzzi se fit journaliste et publia, en 1859, sa brochure : la Toscane et ses grands-ducs autrichiens. Il avait pu se convaincre que l’opinion était d’abord peu favorable. Quand Walewski lui déclarait que la Toscane, opprimée par une minorité factieuse, désirait au fond le retour de la maison de Lorraine, et que les manifestations contraires avaient été payées par le Piémont, il exprimait brutalement la pensée de beaucoup de gens. Depuis Léopold Ier, les grands-ducs de Toscane passaient pour « éclairés » et réformateurs ; on les croyait populaires. La Toscane n’avait pas eu de Poerio ni de Silvio Pellico ; donc elle jouissait d’un gouvernement libéral. Elle était indépendante, de par les traités ; on n’était pas obligé de savoir combien de fois et combien d’années les Autrichiens l’avaient occupée. Elle était riche et prospère ; elle devait être satisfaite.

  1. Les plus importantes de ces dépêches ont été publiées par Bianchi, Storia documentata della diplomazia europea in Italia, t. VIII (Appendice).