de Ravenne, et, avec lui, son maudit prêtre magicien, Déodat. Ils vont de l’empereur sacrilège à l’évêque superbe, qui aspire à me chasser hors de la chaire de Pierre. Puissent votre loyauté et votre sagesse, mon fils, détourner un jour la colère de Dieu de la tête de Cencius !
Il fallut donc, pour obéir au programme pontifical, renoncer aux longues chevauchées d’après-midi dans la campagne romaine. Joachim résolut de tenir école dans les jardins du palais jusqu’à la fin de la belle saison. Jamais Grégoire ne mettait les pieds dans ce grand parc, témoin de si extraordinaires bacchanales, à l’époque des papes de Tusculum. Jamais on n’y rencontrait la cagoule d’un moine. L’abbesse elle-même ne s’y risquait qu’en tremblant. Elle redoutait les scorpions et les couleuvres, les fourmis rouges et les guêpes, le cri rauque des chats-huans, et, par-dessus tout, le mystère des fouillées profondes, sous le ciel éclatant de l’été.
— Nous serons là, dit l’évêque, maîtres de nous et joyeux comme nos premiers parens dans le paradis terrestre !
Ces jardins partaient de la haute enceinte du palais en une pente très rapide, limités, du côté de la campagne, par les vieux remparts, du côté de la ville, par une file de couvens, tels que les Quatre Saints, Saint-Jean-le-Rond et les Camaldules ; ils descendaient jus- qu’aux environs de la porte Latine, aujourd’hui murée. Depuis plus de trente ans, la nature y avait repris tous ses droits. Les arbres, les buissons, les ronces et les fleurs y avaient pullulé avec la fantaisie féconde du désert. Toutes sortes de bêtes timides y vivaient en une admirable quiétude, des lièvres, des perdrix, des écureuils. Chaque printemps, il y revenait une nuée d’hirondelles, dont les nids séculaires étaient accrochés sous les arceaux des remparts, ombragés par des lierres énormes. Il n’était point de trou enfumé dans la brique des murailles qui n’eût sa famille de hiboux ; point un tronc d’arbre brisé par la foudre qui n’offrît un asile aux abeilles. L’alouette y chantait à l’aube, le rouge-gorge, la fauvette et le pinson tout du long du jour, le rossignol toute la nuit. Dès le milieu de l’automne, les canards sauvages et les sarcelles y prenaient leurs ébats dans une mare qui avait été jadis un petit lac élégant et l’hiver, quand la neige recouvrait la terre, les corbeaux y formaient de noires processions, à l’heure inquiétante du crépuscule.
Bien des légendes rendaient les jardins de l’Église à la fois effrayans et sacrés. C’étaient des histoires que les petits moines se chuchotaient à l’oreille avec d’agréables frissons. Les nuits y étaient certainement terribles et le plein jour n’y était point très sûr. Les souvenirs formidables de la papauté féodale y revivaient en visions dont la pensée seule glaçait le sang. Là, dans l’octave des morts,