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les villes contre les Normands. Robert Guiscard revint en toute hâte et rétablit en quelques semaines l’ordre dans ses États. Puis, il fit voile de nouveau vers les côtes d’Illyrie, sans s’inquiéter davantage de Grégoire VII.

Mathilde, forcée de se défendre château par château, ne pouvait plus envoyer au pape que les vases sacrés et les chandeliers d’argent de ses chapelles. Victorien dut, au moment de la Pentecôte, reprendre la route de Salerne afin de lever encore quelques milliers de mercenaires normands au service du saint-siège. Il revint à la fin de l’été, ramenant une petite armée, où s’étaient glissés quelques Sarrasins de Sicile, coiffés du turban vert, un croissant d’or sur la poitrine. Au pied de la montagne d’Albano, il eut une alerte assez vive et s’ouvrit, l’épée haute, le passage à travers une bande d’irréguliers. Il aperçut alors au loin, sur un monticule, la silhouette de deux hommes à cheval, qui surveillaient plutôt qu’ils ne commandaient le guet-apens. Et, dans une vision rapide, ayant au cœur une douleur aiguë, il revit l’église de Canossa, l’ombre épaisse des nefs, et à la lueur blême des cierges, les deux oiseaux de nuit, le chevalier et le moine, le cou tendu vers Henri IV, épiant les gestes de l’empereur prosterné en face de la blanche hostie.

Aux derniers jours de 1082, l’empereur, campé en amont du Tibre, entreprit pour la troisième fois le siège de Rome.

Durant six mois, il guetta, des hauteurs voisines du Vatican, la ville pontificale. Le 2 juin, au petit jour, ses Saxons et ses Lombards escaladèrent silencieusement les murs dans le voisinage de Saint-Pierre, jetèrent à bas les sentinelles endormies et s’emparèrent d’une tour : une fois la brèche ouverte, les impériaux se ruèrent, avec des cris de joie, dans la cité léonine : le premier chevalier qui passa à travers le rempart fut, dit-on, Godefroid de Bouillon. Les milices de Grégoire accoururent et se heurtèrent sur le parvis de la basilique contre l’ennemi. Ce fut un égorgement terrible : la place, les degrés et le portique de l’église furent, en un instant, inondés de sang. Les Romains se barricadèrent dans l’intérieur de Saint-Pierre, où ils purent tenir jusqu’au lendemain.

Aux premières clameurs de l’invasion, Victorien s’était élancé à cheval vers le Latran. Déjà le tocsin sonnait au Capitole, puis à Sainte-Marie-Majeure. Le pape se rendait à sa chapelle pour y célébrer la messe. À la vue du visage de Victorien, il s’arrêta et pâlit.

— Saint-père, l’ennemi est dans le Bourg. Hâtez-vous d’accourir au château. Encore une heure, et il serait trop tard.

Le pape, frappé de stupeur, irrité, ne savait quel parti prendre. Le sénateur de Rome, Pierleone, le supplia de suivre l’avis du