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Toscane, portant le lion de Florence et la bannière du saint-siège, qui porte les clés du paradis.


VIII. — MARIAGE « IN EXTREMIS. »

— Je reviendrai au plus tard pour les fêtes de Noël ou celles de l’Epiphanie, avait dit Victorien en quittant Pia.

L’été s’écoula, puis l’automne. L’étoile des bergers et celle des rois mages montèrent au plus haut du ciel, puis s’éteignirent au fond de la mer, sans ramener le pèlerin.

Chaque fois qu’un navire, venant de terre-sainte, de l’Archipel ou de l’Egypte, jetait l’ancre dans la baie de Salerne ou sous les rochers d’Amalfi, Joachim courait chercher des nouvelles de son pupille. Chaque fois il rentrait au palais de Grégoire plus découragé, le visage plus grave et plus triste.

Il avait recueilli, de la bouche des gens de mer, des rumeurs vagues qui semblaient cacher quelque mystère douloureux. On lui avait parlé de tempêtes furieuses, de galères chrétiennes engouffrées dans les parages de Candie, de batailles livrées par les pirates sarrasins et de la croix vaincue toujours par le croissant. L’empereur grec, à son tour, avait fait durant les derniers mois la course contre les Latins ; il avait enlevé des équipages vénitiens ou pisans et jeté les matelots, aussi bien que les passagers, aux bagnes de Constantinople ou de Thessalonique. Enfin, une peste affreuse dévastait les côtes de Syrie, Jérusalem et les villes évangéliques. Un jour, un vaisseau génois s’arrêta au large de Salerne et fit des signaux de détresse. Il portait à son grand mât une bannière noire, pour montrer que la peste était à bord. Il demandait un médecin et un confesseur. Le capitaine cria de la proue à la barque normande qui répondit à son appel.

— À Jaffa, à Caïpha, à Saint-Jean-d’Acre, on ne trouve plus de bras pour enterrer les morts.

Joachim s’efforçait d’espérer contre toute espérance, il cachait à Pia les paroles inquiétantes des navigateurs ; il imaginait mille raisons pour expliquer le silence de Victorien ; il retrouvait en ses plus vieux souvenirs des histoires rassurantes de pèlerins que l’on avait crus longtemps perdus pour toujours et qui étaient revenus un beau matin à leur maison paternelle, portant un rameau d’olivier cueilli au jardin de Gethsemani. Il se rappelait même l’aventure miraculeuse d’un jeune noble d’Assise qui, s’agenouillant sur le tombeau du Sauveur, avait été ravi en extase et, pendant près