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une vapeur grise très légère, très vite dissipée, révélaient que le volcan était encore en éruption et que la lave coulait au bas de la Montagnola, dans la région aride, à l’endroit où s’arrêtait la neige. Peu de temps après avoir dépassé les dernières maisons de Nicolosi, nous avions cependant rencontré un premier fleuve de lave refroidie. Il s’était en partie répandu sur des laves plus anciennes, et formait avec elles comme une levée gigantesque, jetant çà et là, sur tout son parcours, des rameaux secondaires. Les vignes traversées par ces courans semblaient mortes. Pourtant, le fisc italien s’était déjà mis à l’œuvre. Dans le malheur qui frappait tant de gens, il cherchait à ne pas trop perdre, et, à quelques mois du début de l’éruption, il s’était mis à faire le relevé des terres épargnées. Ses marques blanches ponctuaient le torrent à jamais figé et durci. Rien n’était oublié : pas même des parcelles de deux ou trois ares, que le feu avait enveloppées de toutes parts.

— Une honte, disait mon guide : des propriétaires qui avaient les meilleures terres de la montagne ! Les voilà ruinés, et on se hâte d’imposer les morceaux mêmes de leur terre où il leur reste deux douzaines de ceps calcinés et un arbre roussi.

L’homme était intelligent. Il avait vu de près tout le drame de l’éruption, et il me le racontait en montant.

— Ç’a été un bonheur, disait-il, que les laves aient suivi le chemin déjà tracé par d’autres, car les plus anciens n’ont pas vu la montagne en rejeter autant. Elles ont détruit le bois des Cerfs, avec la ferme qui était belle, des châtaigneraies, des vignes, des vergers qui faisaient envie, monsieur, quand on passait auprès. Elles auraient pu en ensevelir dix fois plus. Nous avions prévu l’éruption, mes camarades et moi. D’abord, en juin, il y eut des jours sans fumée, ce qui est mauvais signe, et d’autres avec beaucoup de fumée, et de la cendre. De plus, au commencement de juillet, un guide, qui s’appelle Contarini, revint de la Casa inglese avec des voyageurs dont les vêtemens avaient été complètement décolorés par les vapeurs sorties du sol. Et c’est le 9 que la montagne s’est fendue, entre la Montagnola et le Monte-Nero, avec le bruit de plusieurs centaines de coups de canon, et des tremblemens de terre et des jets de fumée. Dès le soir, on voyait déjà de Catane les nouveaux cratères et la lave, qui descendait en deux courans, en forme de fer à cheval, très rapidement. Je suis allé la voir de près, plusieurs fois, avec des voyageurs, qui trouvaient cela curieux, bien que ce soit un triste spectacle, je vous assure. Une fois notamment, l’une des premières nuits après l’éruption, nous nous sommes trouvés en face d’un fleuve de lave, large de plusieurs centaines de mètres et plus haut que les châtaigniers dans la