région desquels il entrait. Cela roulait doucement, sauf quelques blocs ardens qui se détachaient de temps en temps du sommet et galopaient à travers le bois. Mais ce qui faisait pitié, c’étaient les arbres. De très loin, ils commençaient à s’agiter, leurs feuilles tremblaient, se desséchaient en peu de minutes, et prenaient feu toutes ensemble. Le tronc, le plus souvent, ne brûlait pas, et se couchait sous le torrent… Il m’est arrivé, les nuits suivantes, de regarder, de Catane, vers le point où j’étais ainsi monté. On apercevait fort bien, sur la bande rouge du torrent, des milliers de flammes blanches qui s’élevaient, duraient quelques secondes, et mouraient. Les beaux bois de châtaigniers, monsieur, que vous ne retrouverez plus[1] !
Nous marchions cependant sous les branches, et je reconnaissais les taillis clairsemés et montans, les croupes de futaie, dont la mousse n’avait assurément jamais senti l’approche de la lave. Vers cinq heures seulement, à deux kilomètres au-delà de la casa del Bosco, nous arrivâmes à la frontière nouvelle que l’éruption venait de faire aux forêts de l’Etna. En face et au-dessus de nous, l’espace découvert planté de fougères et de touffes rondes d’astragale, au-dessus encore, la neige contenue par le mur de la Montagnola, et enfin, dominant tous ses fils innombrables, le grand cratère, si large et si doux de lignes dans le ciel lumineux. Mais à droite, à peu de distance, là où, deux ans plus tôt, j’avais admiré la teinte rousse des herbes et des bois, se dresse un rempart de lave. Les mulets s’engagent entre les blocs amoncelés et atteignent le sommet de la première vague de pierre. Nous apercevons de là le plus aride et le plus triste paysage qui puisse être imaginé : une succession de sillons monstrueux de laves mortes, noires comme les terres des pays de bruyères, hérissées de mottes qui paraissent en équilibre instable, de volutes d’aiguilles, de toitures avançantes qui forment des grottes. Nous ne découvrons rien autre chose, aussi loin que nous regardions en avant. Le fleuve a enseveli les pâturages et les bois, et nous le voyons complètement maître de la pente, jusqu’au point où elle devient plus rapide encore, et s’efface. Nous avançons très lentement, des crevasses nous souillent au visage des bouffées de chaleur. On étouffe dans plusieurs petites vallées, et l’air froid du dehors, nous fouettant sur la crête des talus, nous rappelle seul que nous sommes à 2,000 mètres au-dessus du niveau de la mer et par un soir d’hiver.
- ↑ J’ai retrouvé plusieurs traits de ce récit, dans la relation que m’a adressée depuis le savant et obligeant professeur de l’université de Catane, l’observateur qui passe une partie de sa saison d’été à la Casa inglese, M. Bartoli. Voir Sull’eruzione dell’Etna, scoppiata il 9 luglio 1892. Torino ; tip. San Giuseppe.