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appèle. Mais pour ce seul point ne révolutionnons pas tout le Dictionnaire !

En une page, comme dans un résumé de réquisitoire, la note accumule des exemples de toutes les prétendues contradictions de notre orthographe, mêlant les reproches justifiés aux griefs imaginaires. Il faudrait écrire confidenciel à cause d’artificiel ; mais, sans examiner de plus près cet exemple, faudra-t-il écrire potenciel, torrenciel ? Ces rapprochemens destinés à montrer une contradiction ont souvent quelque chose d’arbitraire, car, en voulant faire entrer un mot dans une certaine série, on risque de l’enlever à la série où il figurait légitimement. Un de ces simplificateurs, à cause de sentencieux, propose l’orthographe ambicieux ; mais celui qui écrit a plus vite fait de penser à ambition qu’à la famille des adjectifs en deux où on prétend le faire entrer. En une brochure judicieuse, quoique d’allure trop chagrine, un adversaire de la réforme, qui signe du nom de Junius, parle de ces amateurs qui, dans un magasin de porcelaine et de cristaux, pour avoir voulu mieux ranger un objet, en dérangent ou en endommagent deux ou trois.

III

Mais les reviseurs de la langue ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Ils soumettent l’alphabet à leur contrôle et demandent l’expulsion plus ou moins complète d’un certain nombre de lettres. Nous sommes arrivés au chapitre des « voyelles doubles » et des « voyelles composées ».

Par voyelles doubles et par voyelles composées il faut entendre les y, qu’on voudrait chasser de la langue, ou dont on voudrait au moins réduire le nombre, et les groupes vocaliques que nous avons, par exemple, dans sœur, nœud, paon, taon, Saône, œil. Il est bon de se rendre d’abord compte de la raison pour laquelle nos pères ont imaginé ces groupes qui, à première vue, ont quelque chose d’étrange. Ce n’est pas le vain plaisir de compliquer les mots : c’est le désir, en leur donnant une physionomie distincte, d’éviter des équivoques. Si, au lieu de sœur, on avait écrit seur, on aurait prononcé sûr (comparez la prononciation du participe eu). Si, au lieu de paon, on avait écrit pan, on créait une équivoque qui n’avait rien de spirituel ni d’utile. Si on avait écrit ieux en place de yeux, on créait une confusion avec jeux. Encore un coup, les gens d’autrefois ne se plaçaient pas au même point de vue que nous. Nous pensons à celui qui apprend à écrire, ils pensaient à celui qui lit. Leur but était d’avoir une langue claire et transparente à la vue, de rendre dès le premier coup d’œil les erreurs impossibles. Si on lais-