Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de langue où l’on ait écrit plus purement et plus nettement qu’en la nôtre, qui soit plus ennemie des équivoques et de toute sorte d’obscurité, plus grave et plus douce tout ensemble, plus propre pour toute sorte de styles, plus chaste en ses locutions, plus judicieuse en ses figures, qui aime plus l’élégance et l’ornement, mais qui craigne plus l’affectation… Elle a des magasins remplis de mots et de phrases de tout prix, mais ils ne sont pas ouverts à tout le monde, ou, s’ils le sont, peu de gens savent choisir dans cette grande quantité ce qui leur est propre. » Il est difficile, n’est-il pas vrai ? de mieux dire.

J’ajouterai encore qu’un enfant ou un ignorant comprendra plus aisément que deux mots de sens différent s’écrivent de manière différente. Exhausser est au fond la même chose que exaucer : mais quel serait l’étonnement de l’ouvrier à qui on voudrait faire désapprendre une différence d’écriture qu’il connaît et dont il apprécie l’utilité ! Compter est la même chose que conter : mais celui qui voudrait priver notre langue de cette distinction, ou plutôt de cette antithèse, la priverait en même temps d’un moyen d’expression dont elle a fait usage bien des fois.

Ceci me rappelle une confusion orthographique que l’usage a consacrée. Un jeune savant est récemment arrivé par l’étude des patois à constater que dans la locution payer comptant le p est de trop, et que la véritable orthographe serait payer contant ou content. Nous avons ici, non pas, comme on le croit, le verbe compter, mais un ancien adverbe signifiant « sur l’heure, sans délai ». Au seizième et au dix-septième siècle, le mot (c’est quelque proche parent de l’adverbe incontinent) était encore en usage. Régnier, mettant en scène la vieille Macette, qui donne des conseils de coquetterie à une jeune femme, lui fait dire :

Faites, s’il est possible, un miroir de votre âme,
Qui reçoit tous objets et tout contant les perd.

Ce qui veut dire : un miroir qui perd tout aussitôt l’image des objets. Payer contant, pour ceux qui ont créé la locution, c’était payer sur l’heure. Mais, si jolie que soit la découverte, y a-t-il quelque conclusion pratique à en tirer ? Je ne le pense point. Le sentiment populaire, juge suprême en cette matière, croit aujourd’hui percevoir en ce mot une idée de numération, et, comme il l’a mis en rapport avec argent comptant, en beaux deniers comptans, on fera bien, je crois, et on agira dans l’esprit de nos anciens maîtres, en conservant l’orthographe vulgaire.

Nous poursuivons maintenant les projets de réforme. Les rh, les th, les ch et les ph n’ont pas été moins pourchassés que les voyelles doubles. Cependant, quand on aura retiré à des mots