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balanes font corps avec la pierre, qu’elles enduisent d’une couche rugueuse ; les moules s’y attachent d’une façon étroite. Les poissons qui fréquentent le bord, comme les scorpènes, ont des os dermiques solides, des écailles puissantes et sont hérissés d’épines. En repassant ses souvenirs de bains de mer, chacun se rappellera les pourpres, les littorines ou bigornes, les troques, les buccins, les berniques ou patelles, dont la coquille épaisse et ramassée défie les coups du flot. Tous, mais surtout les patelles, savent se cramponner si bien qu’il faut une petite pratique pour les détacher à coup sûr. Et si quelques êtres plus délicats trouvent leur vie dans cette zone agitée, c’est qu’ils sont enfouis la plupart du temps assez profondément dans le sable, ou blottis dans les varechs.

La houle du large, au contraire, monstrueuse pour le passager d’un pauvre navire qu’elle roule, a des mouvemens souples ; et, dans la tempête, c’est un spectacle unique de voir des oiseaux comme les pétrels, fermer leur aile impuissante contre le vent, et tout petits se laisser balancer par ces vagues énormes. Aussi, les nageurs de haute mer n’ont point à redouter des coups violens comme sur le rivage, même s’ils restent à la surface pendant les gros temps, et je sais qu’ils le font quelquefois. Toujours léger dans le milieu dense où il flotte, le corps de ces animaux, insensible à la pesanteur, auquel les chocs rudes sont inconnus, n’a sécrété aucune substance résistante pour se soutenir ou pour se protéger. Les mollusques pélagiques ont une coquille légère et délicate ; beaucoup même n’en ont pas du tout ; les poissons de la pleine mer ont des écailles prodigieusement fines, et leur squelette est à peine durci. Transparens dans l’eau transparente, tous ces êtres portent la même marque, indice des mêmes habitudes, quelle que soit d’ailleurs la simplicité ou la complication de leur forme.

Dans les fonds de plusieurs milliers de mètres, les grands dragages de ces dernières années, auxquels la France a pris une part honorable avec les campagnes du Talisman et du Travailleur, ont révélé toute une faune inconnue, résultat des conditions si particulières de la vie abyssale.

N’en ai-je point assez dit pour montrer l’intérêt évident qui s’attache aux études de zoologie marine ? Il y a moins de 23 ans un naturaliste de Paris ou de Berlin devait entreprendre un véritable voyage pour étudier les animaux de la mer. Sans parler des grandes explorations comme celles de l’Astrolabe et la Zélée, nos premières connaissances précises sur l’organisation des animaux inférieurs étaient publiées avec des titres tels que : Expédition sur les côtes de Sicile de M. H. Milne Edwards ou Un été aux Baléares de M. Lacaze-Duthiers, etc.