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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/22

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« médecin fort estimé dans les Pays-Bas », est auprès de lui et ne peut maîtriser les progrès du mal.

Le 3 décembre, un courrier envoyé de Flandre avec passeport spécial arrivait à Paris. Il venait chercher Guénault. D’après le récit de ce messager, le voyage semblait inutile : M. le Prince était abandonné des médecins. L’émotion fut grande. Quoi ! c’est sous les drapeaux de l’ennemi que la mort irait chercher ce héros si français ! La fièvre l’enlèverait ainsi sans lui laisser le temps de se repentir et, comme disait Talon, de réparer sa faute par de nouveaux services ! Le roi, la reine-mère, Mazarin lui-même s’associèrent au mouvement, échangèrent de sympathiques messages avec Mme de Longueville et le prince de Conti. Celui-ci montrait une douleur touchante, dont l’écho parvint jusqu’à Gand[1]. Anne-Geneviève, frappée au cœur au moment où elle espérait réconcilier un frère chéri avec la patrie, implorait la miséricorde de Dieu pour cette âme dont elle connaissait le trouble. Elle eut la consolation d’apprendre que Condé, éclairé par Guitaut sur la gravité de son état[2], et « se portant de lui-même au devoir d’un bon chrétien »[3], avait demandé et reçu avec respect les derniers sacremens. Sa femme, son fils, ses principaux officiers entouraient son lit ; l’internonce lui porta la bénédiction du pape ; don Juan d’Autriche était accouru auprès du mourant.

Guénault s’était fait accompagner par Dalencé, chirurgien ordinaire du prince[4]. Lorsqu’ils arrivèrent à Gand (6 décembre), Condé était au plus mal. Contre toute attente, une crise favorable survint ; secondée par les soins intelligens des deux médecins, elle aboutit à la convalescence.


Le retour de M. le Prince à la santé fut comme la résurrection des espérances de Mme de Longueville. Les incidens qui venaient de se succéder semblaient avoir adouci les esprits ; les sentimens qui s’étaient fait jour étaient d’un heureux augure ; Condé se montrait moins hautain, plus confiant, le cardinal plus conciliant, plus sincère.

« Dans le mesme temps que je tourne mon esprit à croire que M. le Cardinal désire mon amitié, je luy engage insensiblement la mienne, et le fais avec une satisfaction qui rendra toutes choses

  1. Le duc de Longueville à M. le Prince ; Paris, 4 décembre 1657. A. C.
  2. Guitaut au père Bergier, 15 août 1686. (Archives d’Epoisses.)
  3. Caillet à Marigny, 1 décembre 1657. A. C.
  4. « j’ay reçu les ordres de V. A. touchant M. Guénaut et Dalencé ; je tascheray de les rendre satisfaits de la reconnaissance de V. A., comme elle a subjet de l’estre de leurs soins. » (Le président Perrault à M. le Prince ; Paris, 1er février 1658. A. C.)