Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fées qui, belle comme le jour, ne pouvait ouvrir la bouche sans qu’il en sortît un crapaud. Eh ! oui, il y a beaucoup de crapauds dans les cœurs comme dans les jardins ; mais on les devine plus qu’on ne les voit : ils se rendent justice, ils se cachent.

Si Pétrarque n’avait jamais aimé, il n’aurait pas composé des sonnets ; tout porte à croire que, si M. Strindberg ne haïssait rien ni personne, il n’aurait jamais écrit. Ce qu’il hait à l’égal du profane et insolent vulgaire, c’est la femme, cette ennemie naturelle de l’homme. Heureuses les sociétés où on la réduit à ses véritables fonctions, où elle n’est qu’un instrument de plaisirs ou une ménagère dont l’unique souci est de bien tenir sa maison et d’obéir à tous les caprices de son maître ! Elle a aujourd’hui de bien autres prétentions ; elle réclame sa liberté et elle ne se croira libre que le jour où l’homme sera sous ses pieds.

On assure que nombre de Suédoises sont trop disposées à se convertir en amazones et particulièrement en amazones de lettres, « aux cheveux courts, aux manières toutes masculines, qui donnent des poignées de main en vrais garçons et regardent l’homme, — l’homme à la mauvaise conscience, naturellement ! — droit dans ses yeux intimidés ». Elles prennent leurs inscriptions, elles font des discours, elles fondent des journaux, elles revendiquent leurs droits et maudissent la servitude où on les tient. M. Strindberg a la sainte horreur des amazones de lettres, et j’aime à croire qu’à l’aversion qu’il leur a vouée ne se mêle aucune jalousie de métier. Il déclare que l’émancipation des femmes mettrait en péril le peu de bien qui existe encore dans l’univers. Son cœur se serre à la pensée que ces créatures imbéciles aspirent à détrôner le roi de la création, l’être noble qui a découvert tous les arts, toutes les industries, toutes les sciences, à qui le monde est redevable des bienfaits de la civilisation et de tout ce qui donne quelque prix à la vie. Qu’est-ce que la femme ? Elle a la dose d’intelligence qu’on pouvait avoir dans l’âge de bronze. C’est un demi-singe anthropomorphe, un animal rapace, féroce et dévorant. La seule supériorité qu’ait sur nous cette bête de proie, c’est qu’elle est absolument dépourvue de sens moral, et voilà ce qui la rend si dangereuse. — « Étant prouvé, s’écrie M. Strindberg dans la Confession d’un fou, que dans un combat à mort entre deux peuples, le moins scrupuleux, le plus corrompu a le plus de chances de vaincre, qu’enchaîné par son respect inné et superstitieux pour la femme, l’homme est toujours tenté de la ménager, et qu’au surplus elle a l’avantage de se faire nourrir et entretenir, ce qui lui laisse son temps libre pour la bataille, je prends la question au sérieux, je m’arme pour la lutte. »

Mais de tous les griefs qu’il peut avoir contre la femme, voici le plus grave : si elle nous inflige d’intolérables souffrances, c’est qu’elle a une façon d’aimer et de concevoir l’amour qui n’est pas celle de