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sément que l’épreuve qu’elles supportent le moins bien est celle du temps. Le Brésil est en train d’en faire, à ses dépens, l’expérience. La sédition qui couvait depuis plusieurs mois dans la marine brésilienne a éclaté en des circonstances à peu près semblables à celles qui amenèrent, en 1891, la chute du maréchal de Fonseca. Le prétexte a été fourni par le veto du maréchal Peixoto, vice-président de la République et chef du pouvoir exécutif, à une loi du congrès réglant l’élection présidentielle de telle sorte que le vice-président, qui aurait à défaut du président exercé les fonctions de celui-ci, fût inéligible à la prochaine présidence. Cette loi, affectant l’élection présidentielle du 1er mars 1894, visait directement le vice-président, M. Peixoto, qui lui a refusé sa sanction.

Le 5 septembre avait lieu, à l’Opéra de Rio-Janeiro, une représentation de gala à laquelle assistaient tous les personnages officiels, parmi lesquels l’amiral Custodio de Mello, commandant l’escadre. Au sortir du théâtre, à minuit, l’amiral se rendit à l’Arsenal, où les navires, suivant ses ordres, étaient déjà sous pression et où les officiers de marine étaient rassemblés. Il s’embarqua sur le vaisseau l’Aquidaban ; qui prit le large dans la baie, suivi de cinq autres cuirassés, de huit torpilleurs et de trois canonnières, composant l’ensemble des forces maritimes de la République. Le lendemain, la ville apprit avec stupeur qu’elle était bloquée.

Aux vaisseaux brésiliens, armés de canons Krupp, et montés par un millier d’hommes exercés, le président Peixoto n’a pu jusqu’ici opposer que 4 000 hommes de mauvaises troupes ; l’armée régulière, qui comprend une vingtaine de mille hommes, étant occupée dans le Rio-Grande-do-Sul à batailler contre les insurgés. La révolution actuelle n’est elle-même en effet qu’une conséquence de celle qui règne, depuis bientôt un an, dans cette province. Le plus ou moins d’inconstitutionnalité du veto présidentiel n’a fait que servir de motif apparent à la révolte ; autrement l’on s’étonnerait que les vengeurs actuels de la constitution fussent demeurés impassibles en présence de beaucoup d’autres actes illégaux du maréchal Floriano Peixoto, — Floriano, comme on l’appelle là-bas.

Cette guerre civile du Rio-Grande-do-Sul a pour cause le maintien du gouverneur Castilhos à la tête de la province ; l’obstination du président actuel à conserver en fonctions une ancienne créature de son prédécesseur est assez curieuse, puisque la révolte du Rio-Grande contre Castilhos n’a pas peu servi à faire arriver au pouvoir le maréchal Peixoto. La lutte se poursuit avec assez de lenteur entre le gouvernement et l’insurrection qui continue le blocus de Rio, canonne les forts et a même quelque peu bombardé la ville. Le président a lancé une proclamation, dans laquelle il annonce que, si les élections générales du congrès, qui ont dû avoir lieu le 30 octobre, lui sont défavorables,