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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/302

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de Kaït-Bcy, entourée d’une sorte de village et dont l’unique minaret est réputé le chef-d’œuvre du genre. Citons à ce propos une fine page d’esthétique architecturale : « C’est l’encorbellement qui donne cette grâce spéciale aux minarets du Caire. Cette tour svelte, allégée, fouillée comme le plus beau joyau d’orfèvrerie, est le clocher des églises mahométanes. Si maintenant vous la supposez brodée d’ornemens tissés dans la pierre ou dans le stuc, gaufrée de sculptures à peine saillantes qui sembleront champlevées au burin ; si tel étage enveloppé d’un réseau de figures géométriques, tel autre composé d’une colonnade à pans ou percé de folies-fenêtres ou d’une porte pour donner au muezzin accès sur le balcon ; si les encorbellemens ont des profils divers et des saillies inégales ; si les balustrades sont variées dans leurs entrelacs ou leurs découpures, vous aurez un type accompli des minarets du Caire, dont celui de Kaït-Bey est le plus parfait »[1].

En route de nouveau, par-dessus les sables mouvans, sur l’âne docile et infatigable ! Les tombeaux des khalifes fuient derrière moi. Ces mosquées du désert s’éclipsent une à une à demi ensevelies sous les fauves collines. Déjà elles ne sont plus qu’un rêve. Mais le soleil incliné qui chauffe encore leurs dômes bulboïdes les trempe de la couleur des bananes et des oranges. Ces ravissantes coupoles, dont chacune recouvre un ciel de fraîcheur et de délice, sont-elles les cités fabuleuses du plaisir, les mirages trompeurs du rêve humain, ou les créations exquises des génies de l’air ? Maintenant qu’elles vont disparaître avec leurs minarets, on dirait les capsules fermées de grandes fleurs de pierres et des pistils à trois rangs d’étamines qui boivent les flammes du couchant. On descend, on remonte pour redescendre encore, foulant toujours les sables et côtoyant les tombes. Car les nécropoles anciennes et nouvelles se suivent, se confondent et se prolongent au pied de la colline des Moulins-à-vent, jusqu’au delà du Mokattam et de la citadelle, dont le massif imposant, couronné par la mosquée de Méhémet-Ali, se découpe sur l’horizon. Ces cimetières immenses, sans murs et sans palissades, ouverts à tous les vents, qui s’avancent en plein désert, sont d’une majesté incomparable. Tous ces édicules, ces petits temples à quatre colonnes, ces coupoles basses et hautes, ces mosquées croulantes, ces mausolées illustres et ces tombes sans nom, toute cette armée de pierre qui monte sur les collines a l’air de s’offrir à la destruction avec une indifférence superbe — et d’attendre.

Avant de rentrer au Caire, nous cheminons pendant une demi-

  1. L’Art égyptien et arabe, par Washington Abate ; le Caire, 1891. M. Abate, d’origine sicilienne et d’éducation française, habite le Caire. Il nous promet un livre sur le Caire monumental.