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leur parole pour obtenir d’eux, et à son détriment, les concessions qu’ils refusaient à Mazarin. D’autre part, malgré quelques défaillances, de faux mouvemens plutôt, la conduite du roi catholique et de son ministre vis-à-vis de Condé fut véritablement chevaleresque ; ils poussèrent la loyauté jusqu’à l’abnégation.


V. — TRAITÉ PRÉLIMINAIRE DE PARIS, 4 JUIN 1659. — COMPENSATIONS OFFERTES À M. LE PRINCE.

On traversait un de ces pas difficiles où l’honneur d’une des deux parties frisait les écueils. D’abord on était loin de compte.

Le jour même (14 avril) où Condé adressait à Lenet la dépêche dont nous venons de citer quelques passages, don Luis de Haro prenait aussi la plume pour écrire au prince de Condé. Après avoir tracé à grands traits le tableau des magnifiques conditions obtenues par l’Espagne (don Luis était facile à contenter), il montrait le roi son maître tout prêt à rompre plutôt que de manquer à la parole donnée. Mais M. le Prince ne va-t-il pas acquérir, par sa générosité, une gloire immortelle ! renoncer à tout, se sacrifier pour ne pas retarder la signature de la paix et le mariage de l’infante ! En échange de son dévouement, il recevra le gouvernement des Pays-Bas avec la souveraineté de trois ou quatre bourgades.

La chute était grande, la compensation mince ; les termes même ne sont pas encore arrêtés en conseil et ne seront annoncés qu’après la signature du traité[1], ce qui bouleversait tout l’équilibre de la combinaison.

Cependant Lenet en est encore à l’enthousiasme : les propositions lui plaisent ; la lettre de M. le Prince l’a rempli d’admiration ; on ne pouvait mieux dire. — Il glisse sur la Franche-Comté (on n’en parlera plus), et déjà son imagination entrevoit M. le Prince établi en souverain entre Sambre et Meuse, avec le noble château de Marimont pour demeure, la forêt Mormal pour la chasse et « tout le bien de M. de Chimay qu’on lui achèterait », maître des forteresses de Maubeuge et d’Avesnes, « vivant en roy et donnant à son estat de si belles lois que chacun y voudroit estre »[2]. Que M. le Prince se hâte d’accepter.

Entouré d’amis inquiets et de créanciers pressans, rongé par le regret de la patrie absente, partagé entre la fierté et l’honneur, M. le Prince est loin de s’associer aux illusions de son ambassadeur : « Le silence gardé dans les instructions à Pimentel sur les récompenses que je dois recevoir me sera très préjudiciable[3]. »

  1. Don Luis de Haro à M. le Prince, 14 avril. — Lenet à M. le Prince, 14, 16 avril 1659. A. C.
  2. Lenet à M. le Prince, 4 mai. A. C.
  3. M. le Prince à Lenet, 10 mai. B. N.