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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/30

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Sambre et Meuse. La paix n’étant pas conclue, le roi très chrétien ne peut empêcher M. le Prince d’accepter. »

Ce n’était pas l’avis de Condé : « Je vous advoue que je ne comprends pas bien comment il puisse se faire que le roy de France consente que, moy estant son sujet, j’en serve un autre que luy, et je n’entends pas comment cela se pourroit adjuster que je servisse les deux roys tout en mesme temps. »

Cette dépêche de M. le Prince[1] est essentielle. Dans un résumé parfois éloquent, l’homme se retrouve tout entier, avec le conflit d’idées, de passions qui agitent son esprit et son cœur, le sentiment de son devoir et sa fierté de prince du sang de France, la soif d’indépendance. L’ardent désir de s’affranchir de tout lien, peut-être aussi la secrète intention d’effrayer Mazarin par la chimère d’un projet grandiose qui eût rendu toute paix bien précaire : «… À vous dire le vray, je ne vois rien qui puisse mieux me convenir que le comté de Bourgogne (la Franche-Comté) en souveraineté. Je vous advoue que pour cela je quitterois de bon cœur mon gouvernement et mes places, pourveu toutesfois que mes amis fussent restablis en France au mesme estat qu’ils estoient avant la guerre, pourveu encore qu’il me fust permis d’envoyer mon fils en France jouir de mon bien et de luy donner ma charge de grand maistre ; sans quoy je ne me veux relascher de rien, ny escouter aucune proposition à mon sujet ; ce sont choses d’honneur à quoy je ne veux point manquer, non pas pour la vie. Jamais je ne donneray ma démission que pour mon fils… Pour sortir de cette affaire icy, de trois partis il n’y en a qu’un à prendre : ou mon restablissement tout entier en France avec mes amis, — ou le retour de mon fils et de mes amis en la manière que je vous l’ay expliqué, avec le comté de Bourgogne pour moy, — ou estre abandonné tout à faict et demeurer en l’estat où l’on est. Car je suis résolu à ne prendre aucun de ces meschans petits establissemens qui ne me serviroient de rien et qui pourroient faire croire que j’ay esté dédommagé… Asseurés vous que je ne désadvoueray pas ce que vous avés advancé en disant que je me retirerois plustost dans un désert que de causer au roy (d’Espagne) le moindre dommage du monde. Je vous dis icy mon sentiment comme je l’ay dans le cœur. »

Nous assistons à un véritable combat de générosité. Cette déclaration qu’on vient de lire, M. le Prince la renouvelle plusieurs fois, et dans des termes plus formels encore<ref> Voir : Instructions à Caillet, 11 mai. — Lettres à Lenet, des 24, 31 mai, 7 juin, etc. </<ref>. Il reste, comme il disait, prêt au sacrifice ; c’est lui qui à la fin rendra aux Espagnols

  1. À Lenet, 14 avril 1659. B. N.