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Mais enfin, si, quelque coûteuse qu’elle puisse être, cette conception colossale avait une utilité en rapport avec la dépense, si, suivant les promesses de ses auteurs, elle devait rémunérer un jour ses actionnaires, enrichir le pays, augmenter sa puissance, peut-être faudrait-il ne pas y faire d’objection et chercher même à faire surgir — D’où ? ce serait peut-être la difficulté — L’énorme capital qui paraît indispensable.

Les ingénieurs qui ont étudié la question avec le calme que donne la compétence et l’absence de parti pris n’estiment pas à moins de 30 millions les frais d’exploitation et d’entretien, ce qui n’a rien d’excessif, en songeant à la longueur du canal, aux réservoirs, aux dérivations, aux écluses, aux ponts à manœuvrer, aux locomotives et à leurs voies. Le capital, pour ses intérêts, exigerait aux environs de 100 millions, soit 130 millions annuels à se procurer. Or la taxe prélevée sur les navires serait, dit-on, de 3 fr. 758 par tonne de jauge. Pour que l’entreprise fût à peu près rémunératrice, il faudrait donc être assuré d’un transit de 33 à 34 millions de tonnes. Il en passe de 22 à 23 millions par Gibraltar, dont la majeure partie n’a aucun intérêt à se détourner de la route qu’elle suit aujourd’hui. Il ne faut, en effet, compter ni sur les steamers en provenance ou à destination de l’Amérique, pour lesquels la distance est à peu près la même par les deux routes, ni sur l’active navigation qui circule entre, d’une part, les Iles Britanniques et les ports septentrionaux de l’Europe, et, de l’autre, la partie de la Méditerranée à l’est de la Sicile, navigation qui comprend les neuf dixièmes de celle qui passe par le canal de Suez. Le tout représente de 16 à 18 millions de tonnes. Ceux de ces navires qui marchent encore à la faible vitesse de 9 nœuds, il y en a peu, gagneraient à passer par le canal quelques heures, insuffisantes d’ailleurs à compenser le surcroît de dépense qui résulterait du paiement de la taxe. Ceux d’une vitesse supérieure n’y trouveraient économie ni de temps ni d’argent[1]

Reste la navigation entre l’Océan et la partie occidentale de la Méditerranée (côte est d’Espagne, côte sud de France, côte ouest d’Italie). C’est celle qui trouverait dans le passage par le canal une certaine économie de temps. Et encore ! dans l’hypothèse la plus

  1. Prenons comme caractéristique de cette navigation le parcours entre le point B des cartes, à l’ouest d’Ouessant, et le port de Malte.
    La distance par Gibraltar est de 1930 milles.
    Par le canal, il faut compter :
    1° La partie maritime : ¬¬¬
    (a) Du point B à la Coubre (embouchure de la Gironde.) 276 milles.
    De Gruissan à Malte 690 —
    Ensemble 966 —

    2° Le transit par le Canal, qui peut durer de 83 à 103 heures. D’autre part, les frais d’armement et de navigation peuvent s’évaluer à 0 fr. 75 par jour et par tonne, terme moyen. — On peut alors dresser le tableau suivant :