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Soissons) n’avait pas été tué à La Marfée, la possession de Sedan lui aurait permis de bouleverser le royaume. — La Sardaigne ? — Non ! jamais ! jamais ! Laissons tout cela. Le roi très chrétien donne l’exclusion à tout don de souverainetés, même de terres, hors de France. M. le Prince pourra acheter des terres en France avec l’argent qui lui sera donné d’Espagne ; » et on passe en revue les grands domaines qui pourraient convenir : comté d’Eu, duché de Nevers, etc.[1].

Il y eut vingt-quatre conférences entre les deux premiers ministres. Dans l’intervalle, les secrétaires d’Etat sont aux prises ; Pimentel, disgracié, ne paraît qu’à la fin ; c’est un vieillard de soixante-quinze ans, Pedro de Coloma, qui doit lutter avec le terrible de Lionne, toujours incisif et railleur. Les grandes affaires, l’Artois, le Roussillon, avaient été vite réglées. Pour le reste, don Luis était mal à son aise ; car il fallait reprendre pied à pied ce qu’on avait cédé à Paris ; mais Lenet était là pour souffler le premier ministre.

Le 18 et le 20 août, les assauts furent terribles. Au milieu de la passe d’armes, le cardinal risque une manœuvre hardie. Soudain il offre de rendre à M. le Prince, à son fils, à ses amis, toutes leurs charges, places et gouvernemens, « pourvu qu’il plust à S. M. catholique de laisser le Portugal comme il étoit… Je savois bien, ajoute Mazarin, que je pouvois faire hardiment cette proposition sans appréhender d’estre pris au mot »[2]. Mais il savait aussi ce qu’il avait laissé entrevoir : la possibilité d’un échange, l’issue pour sortir de l’impasse. Puis il replie ses voiles ; pendant quelques jours, on ressasse ce qui a été dit vingt fois.

Voici la première lueur. Mazarin par le vaguement de certains avantages que le roi très chrétien pourrait accorder à M. le Prince en échange de places cédées par le roi catholique[3]. Mais ce n’est pas de lui que la proposition doit venir ; par une série d’évolutions, il amène son interlocuteur au point : parmi beaucoup de fatras, le nom d’Avesnes est prononcé[4] ; don Luis a parlé le premier. C’est sur Avesnes que se fera l’accord.

Avec nos moyens de communications rapides, et habitués que nous sommes dans notre siècle aux grandes et soudaines mutilations des empires, nous avons peine à comprendre l’importance que nos pères attachaient à la possession d’un canton restreint,

  1. Caillet et Lenet à M. le Prince, 20, 23 août. A. G. — Mazarin à Le Tellier, 21, 23 août, etc.
  2. Mazarin à Le Tellier, 19 août ; au surintendant, 21. A. E.
  3. Mazarin à Le Teliier, 30 août ? A. E.
  4. Le même au même, 4 septembre.