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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/38

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à l’occupation d’une petite place. Nous oublions que sur une frontière découpée, au milieu de territoires enchevêtrés et formant une véritable marqueterie, les petites places, bien choisies, devenaient des têtes de route, des serrures pour ouvrir ou fermer les chemins, des débouchés ou des refuges pour les armées, des bases d’opérations.

À peine don Luis a-t-il lâché le mot « Avesnes » qu’il veut le reprendre. Encore une fois il demande qu’on envoie un passeport à M. le Prince, qu’on le fasse venir ; il offre de l’argent. Mazarin, un peu embarrassé, ne veut pas laisser deviner combien Avesnes le tente, se perd en divagations ; mais « il est sûr de sortir de l’affaire avec réputation » ; sa joie éclate dans sa lettre à Le Tellier ; il prévoit la fin prochaine, et recommande au roi « de peser ses paroles en parlant de M. le Prince »[1].

« Enfin nous avons fondu la cloche. Tout est convenu. Don Luis a signé l’article de M. le Prince, et ce sur la demande formelle de M. le Prince, que M. don Luis a voulu avoir écrite et signée de Lenet et Caillet[2]. » Le cardinal rend justice au procédé de Condé : c’est lui qui a dégagé la parole du roi d’Espagne, c’est à lui qu’on doit la paix. Le lendemain, Lenet et Caillet recueillent les mêmes déclarations de la bouche de Mazarin. Toutefois celui-ci refuse de les recevoir en la salle de la conférence comme il faisait pour les envoyés des ducs de Mantoue et de Savoie, afin d’éviter l’apparence de traiter leur maître en souverain. Il se contente de les recevoir en son logis, d’où il aurait eu d’ailleurs quelque peine à sortir ; car en ce moment la goutte ne lui faisait pas trêve. L’entretien fut long et gracieux. Reprenant toute l’histoire de ses relations avec Condé, le cardinal s’étendit sur les articles du traité, et comme ses interlocuteurs présentaient quelques observations, parlaient des charges, des amis : « Mais laissez-moi donc quelque chose à faire quand M. le Prince sera rentré ; je suis décidé à bien vivre avec lui, et je compte sur la réciproque[3]. »

On discuta encore pendant plus d’un mois sur la rédaction, sur les détails, parfois en s’échauffant. Il y eut des simulacres de rupture : un jour Mazarin feignit de rappeler le maréchal de Gramont, qui avait pris la poste pour aller en ambassade extraordinaire demander la main de l’infante, et lui défendit de passer Irun ; don Luis parlait de retourner à Madrid. Le lendemain, quand les secrétaires d’Etat revenaient consternés, le ciel était serein de nouveau ; l’orage avait abouti à une petite victoire de

  1. 12 septembre. A. E.
  2. Mazarin à Le Tellier, 16 septembre, 3 octobre.
  3. Lenet et Caillet à M. le Prince, 6-14 octobre. A. C.