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Quand un attroupement de grévistes frappe précisément où il faut frapper, détruit ce qu’il faut détruire, — par exemple les outils des ouvriers restés à l’usine — pour atteindre son but, c’est qu’il y a derrière elle, sous elle, un syndicat, une union, une association quelconque[1]. Les foules manifestantes, processions, enterremens à allure triomphale, sont soulevées par des confréries ou des cercles politiques. Les Croisades, ces immenses foules guerrières, ont jailli des ordres monastiques, à la voix d’un Pierre l’Ermite ou d’un saint Bernard. Les levées en masse de 1792 ont été suscitées par des clubs, encadrées et disciplinées par les débris des anciens corps militaires. Les septembrisades, les jacqueries de la Révolution, ces bandes incendiaires ou féroces, sont des éruptions du jacobinisme ; partout, à leur tête, on voit un délégué de la section voisine. Là est le danger des sectes : réduites à leurs propres forces, elles ne seraient presque jamais très malfaisantes ; mais il suffit d’un faible levain de méchanceté pour faire lever une pâte énorme de sottise. Il arrive fréquemment qu’une secte et une foule, séparées l’une de l’autre, seraient incapables de tout crime, mais que leur combinaison devient facilement criminelle.

Les sectes, d’ailleurs, peuvent se passer des foulés pour agir ; c’est le cas de celles qui ont le crime pour but principal ou pour moyen habituel, telles que la maffia sicilienne, la camorra napolitaine, l’anarchisme européen. Comme il a été dit plus haut, les corporations vont plus loin que les foules dans le mal comme dans le bien. Les noms que je viens de citer confirment éloquemment cette vérité. Rien de plus bienfaisant, par exemple, que la Hanse au moyen âge ; rien de plus malfaisant, de nos jours, que la secte anarchique. Ici et là, même force d’expansion, salutaire ou terrible. Née en 1241, la Hanse était devenue, en peu d’années, avec une rapidité de propagation inouïe à cette époque, « la suprême expression de la vie collective, la concentration

  1. Parfois on le conteste, mais à tort, parce que le fait ne peut toujours être judiciairement démontré. Dans son ouvrage, très documenté d’ailleurs et très intéressant, sur les Associations professionnelles en Belgique (Bruxelles, 1891), M. Vanderwelde, l’un des chefs du socialisme belge, blâme un arrêt de la cour d’assises du Hainaut, de juillet 1886, qui a condamné plusieurs membres de l’Union verrière de Charleroi pour provocation aux troubles causés par la grève des ouvriers verriers, en mars de cette même année. Il n’y avait contre eux, nous dit-il, que « d’insuffisantes présomptions ». Mais, quelques lignes plus haut, il vient de nous dire que, longtemps avant la grève, « l’Union verrière se préparait à la lutte : une lutte terrible, une lutte à mort, écrivait son président aux Sociétés d’Angleterre et des États-Unis ». Or, « sur ces entrefaites éclatent les émeutes de mars 1886 : le 25, des milliers de mineurs remontent leurs outils ; le lendemain, cette masse énorme se répand sur le pays, arrête les machines, pille les verreries… anéantit l’établissement Baudoux », en un mot exécute tout le programme de l’Union. Ce sont là des présomptions graves, sinon suffisantes…