Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/381

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et même cette expression à ce sujet rencontrera sans nul doute bien moins de contradicteurs que dans son acception habituelle ; car assurément on voit des sectes naître tout exprès pour le brigandage, la rapine, l’assassinat, très différentes en cela de beaucoup d’autres qui, après avoir eu des fins plus nobles, se sont perverties : la maffia et la camorra, par exemple, ont commencé par être des conspirations patriotiques contre un gouvernement étranger. — Mais cette distinction, qui a paru si capitale et a suscité tant de polémiques à propos de la criminalité individuelle, n’a pas la moindre portée dans son application à la criminalité collective. Criminelle de naissance ou criminelle de croissance, une secte qui fait le mal est pareillement haïssable, et les plus dangereuses sont souvent celles qui en grandissant ont dévié de leur principe initial. Si nous cherchons à remonter aux causes qui ont fait naître pour le crime les unes ou qui ont fait tomber les autres, nous trouverons que ce sont les mêmes, à savoir des causes d’ordre psychologique et social. Elles agissent, dans les deux cas, de deux manières différentes et complémentaires : 1° en suggérant à quelqu’un l’idée du crime à commettre ; 2° en propageant cette idée, ainsi que le dessein et la force de l’exécuter. Quand il s’agit du crime individuel, la conception et la résolution, l’idée et l’exécution, sont toujours distinctes et successives, mais se produisent dans un seul et même individu ; c’est la principale différence avec le crime collectif, où divers individus se partagent les taches, où les meneurs et les inspirateurs vrais ne sont jamais les exécuteurs. différence analogue à celle qui sépare la petite industrie de la grande : dans la première, le même artisan est en même temps entrepreneur et ouvrier, il est son propre patron ; dans la seconde, patrons et ouvriers font deux, comme on ne le sait que trop.

Or, qu’est-ce qui suggère l’idée du crime ? et je pourrais aussi bien dire l’idée de génie ? Les principes et les besoins, les maximes avouées ou inavouées et les passions cultivées plus ou moins ouvertement, qui règnent dans la société ambiante, je ne dis pas toujours dans la grande société, mais dans la société étroite et d’autant plus dense où l’on est jeté par le sort. Une idée de crime, pas plus qu’une invention géniale, ne jaillit de soi, par génération spontanée. Un crime, — et cela est surtout vrai des crimes collectifs, — se présente toujours comme une déduction hardie, mais guère moins conséquente que hardie le plus souvent, de prémisses posées par les vices traditionnels ou l’immoralité nouvelle, par les préjugés ou le scepticisme d’alentour, comme une excroissance logique en quelque sorte, — et non pas seulement psychologique, — sortie de certains relâchemens de conduite, de