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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/428

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formidables contreforts, descendirent vers les plaines des vagues humaines dont les unes s’étendirent au loin, tandis que d’autres restèrent non loin des montagnes d’où elles étaient parties. C’est ainsi que tout d’abord auraient été peuplés l’ouest du Céleste-Empire, le Tonkin, le Laos et la Birmanie. Comme pour faciliter les émigrations, d’innombrables cours d’eau creusèrent de magnifiques vallées, ils entr’ouvrirent les monts sous les coups de leurs assauts furieux, et devenant ces chemins qui marchent dont parle Pascal, ils fertilisèrent de leur limon, comme le Nil, les terres qu’ils arrosaient. « Nulle grande unité nationale, dit Elisée Reclus, ne pouvait se constituer dans ces étroits couloirs séparés les uns des autres par de hautes arêtes. Quel contraste entre ces longs sillons parallèles et la vaste plaine de l’Inde septentrionale où 150 millions d’hommes ont pu trouver place. »

Sur un espace de soixante lieues, six grands fleuves jaillissant des contreforts de l’Himalaya fécondent la Chine, le Tonkin, le Laos et la Birmanie. C’est le Yang-tsé-kiang ou fleuve Bleu, d’une longueur de 4 650 kilomètres et qui a dix fois la portée du Rhône ; le Si-Kiang, unissant le Yunnan à Canton ; le Song-Coï ou fleuve Rouge qu’une canalisation bien entendue peut faire un jour, au point de vue de nos relations commerciales avec l’empire du Milieu, le plus utile des fleuves de l’Indo-Chine ; c’est encore le Mékong qui va déboucher en Cochinchine après un parcours de 4 000 kilomètres ; la Seluan, devenue tributaire des Anglais, et qui, au temps des grandes crues, verse à la mer 20 000 mètres cubes d’eau par seconde, et enfin l’Iraouady, tributaire également de nos voisins, qui se déverse dans le golfe de Martaban à raison de 28 000 mètres cubes par seconde également.

Le Mékong est le seul de ces fleuves qui nous intéresse en ce moment, car c’est pour l’utiliser à sa sortie de la frontière de Chine et faire passer une voie ferrée pénétrant dans le Yunnan, que les Anglais ont pris la Birmanie, et sont fort étonnés en même temps qu’irrités de nous y voir devenir leurs voisins par suite des récens événemens du Siam.

,Le haut Mékong traverse une partie des États Shans ou du haut Laos. Ces États, dans le nord, sont sans routes praticables, sans fleuves navigables, — le Mékong compris, — et le transport de leurs produits ne peut s’y faire qu’à dos d’hommes, d’éléphans ou de bêtes de somme. Le pays très montagneux n’est guère peuplé, et cependant les Anglais comptent bien que les Shans des vallées, les Kakhyens et les Sing-Po, tribus indépendantes qui fuyaient la tyrannie birmane, émigreront peu à peu des montagnes où ils se sont réfugiés, pour venir cultiver leurs nouvelles possessions qui