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PAPA FÉLIX

I

Avec la prise de Jaffa, s’achevait pour Kléber ce rôle de couverture qu’il remplissait à l’avant de l’armée. Le 18 ventôse an VII, il abandonna donc la position qu’il tenait depuis la veille sur le Nar-el-Ouageh et s’éloigna dans la direction de Meski. La décision était propre à mécontenter ses soldats qui, tous, caressaient l’espérance d’entrer dans la ville et d’y faire leur part de butin. Ils avaient prêté une oreille intéressée au bruit des pièces de siège, occupées à battre les murs, et reconnu avec un plaisir particulier la grosse voix du 24 travaillant à la brèche ; les fourriers, en revenant du quartier général, l’avaient décrite, cette brèche, pas très large, mais douce de pente, mais bien logeable. Toute la nuit, une rumeur confuse, inégale, s’était prolongée sur cette ville ébranlée par le canon, insultée par la mousqueterie, et qui répondait par des cris d’épouvante à toute cette mort déchaînée sur elle. Parfois, sans doute pour une porte trop résistante, qu’à défaut d’un levier on soulevait avec une charge de poudre, une lueur fumeuse et souillée d’escarbilles montait, se développait en volutes blanches sur lesquelles les contours des monumens apparaissaient noirs : on voyait alors distinctement, malgré la distance, les deux têtes françaises plantées depuis le matin sur deux piques, au sommet de la grosse tour. Puis, la fumée se diluait dans le ciel obscur et mêlait à la brise marine, à la senteur des aloès et des pins, une odeur de carnage et d’incendie. Par tous ces signes, le troupier augurait que la place était bonne en vivres, en bijoux, en étoffes, en femmes, en tout ; bien sûr, le Petit Caporal allait