« À quatre heures après-midi, l’ambassadeur fut conduit à l’audience à travers une grande place dans une cour carrée environnée de murailles avec quantités d’embrasures ; au milieu se voyait une grande pyramide dont le haut était couvert de lames d’or du poids d’environ mille livres. Ce monument était regardé comme une divinité, et tous les Laotiens venaient lui rendre leur adoration. Les présens des Hollandais furent apportés et posés à quinze pas du prince. On conduisit ensuite l’ambassadeur dans un temple où le roi se trouvait avec tous ses grands. C’est là qu’il fit la révérence ordinaire, tenant un cierge de chaque main et frappant trois fois la terre du front… Après les complimens usités en pareille occasion, le roi fit présent à l’ambassadeur d’un bassin d’or et de plusieurs habits. Les personnages de sa suite ne furent pas oubliés.
« On leur donna le divertissement d’un combat simulé et d’une espèce de bal terminé par un feu d’artifice. Ils passèrent cette nuit-là hors de la ville, ce qui était sans exemple, et le matin on les ramena dans leur logement. Depuis ce jour, l’ambassadeur fut traité plusieurs fois à la Cour, et l’on s’efforça de lui procurer tous les amusemens imaginables. Après s’être arrêté pendant deux mois à Vien-Chang, — les Hollandais écrivent Winkyan, — il en partit pour retourner à Camboya, où il n’arriva qu’au bout de quinze semaines, fort satisfait du succès de sa mission[1]. »
M. de Carné dit de Vien-Chang : « Là, où Gérard van Vusthorf et ses compagnons rencontrèrent, en 1700, une ville florissante, je ne vis que ruines. » Les Siamois les y ont amoncelées. Par eux, les Laotiens furent exterminés ou déportés en masse et leur capitale rasée, comme l’avait été Jérusalem par les armées romaines. Chao-Koun, un général siamois dont le nom remplit encore de terreur ces contrées, mit par cette horrible exécution le sceau à une renommée militaire déjà acquise aux dépens du Cambodge. On peut voir à Oudon, en face de l’ancien palais du roi Norodom, la grossière statue de cet égorgeur de peuples. Par une prescription insolente des vainqueurs à laquelle le protectorat seul de la France a mis un terme, les Cambodgiens la saluaient tous humblement en passant devant elle, sans que dans ce troupeau de vaincus un sentiment de résistance se soit jamais produit.
Parvenus à tromper la vigilance de l’ennemi, le roi de Vien-Chang et plusieurs membres de sa famille se réfugièrent à Hué ; mais le roi Mink-Man, qui régnait alors sur l’Annam, loin de protéger
- ↑ Vie des gouverneurs généraux des Indes Orientales. La Haye, 1763.