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Un vieux bonze, le visage caché par un écran de plumes, prononça quelques prières, puis la foule s’écoula. Jeunes filles et jeunes gens, après ce religieux devoir accompli, se mêlèrent ; je me retirai par discrétion, car il était facile de voir que la présence d’un étranger nuirait à l’expansion. Le prêtre bouddhiste allait être remplacé par le ministre éternel du seul culte universellement reconnu dans le monde… »

Dans la capitale, il règne tous les matins, sur la place du marché, une remarquable animation. On trouve là en abondance tout ce qui est nécessaire à la vie, à la vie laotienne, bien entendu. Les Birmans offrent au public des étoffes anglaises, cotonnades, indiennes, des tissus de laine, des boutons, des aiguilles ; les habitans du royaume de Xieng-Maï apportent des bois en laque, des gargoulettes, des parasols ; enfin les producteurs indigènes vendent du poisson, de la viande de buffle et de porc, souvent morts de maladie, du riz, du sel, de l’ortie de Chine, de la soie, du coton.

Le port de Bankok peut être considéré comme l’unique débouché des objets qui viennent sur le marché de Luang-Prabang, et cependant cette ville n’est à peine séparée que par 70 lieues des rivages du golfe du Tonkin. C’est donc dans cette direction plutôt que vers Bankok, que les Laotiens et les rudes montagnards de ces régions devraient songer à écouler leurs produits et à recevoir ceux que pourrait leur envoyer l’Europe.

Pour ces motifs, M. Pavie et ses collaborateurs, le capitaine Cupet et le lieutenant Nicolon, se proposèrent, en 1887, de rechercher la route fluviale le plus accessible pour aller de Luang-Prabang au Tonkin. Le Laos, le Siam, F Annam, furent parcourus en tous sens par ces infatigables explorateurs. Des commissaires siamois surgissaient parfois sous leurs pas plutôt pour les espionner que pour les guider. Le Nam-Ou, rivière dont le docteur Neïs avait signalé l’importance, parut la voie préférable, car un de ses affluens peut aboutir non loin de la rivière Noire qui déploie dans le Tonkin ses eaux profondes et calmes. En 1888, M. Pavie reconnut que les communications étaient aisées entre Laï-Chau, point extrême où la rivière Noire est navigable, et Dien-Bien-Phou dans le bassin du Mékong. Il chassa de ce poste les soldats siamois qui s’y trouvaient, et le colonel Pernot leur substitua aussitôt quelques-uns des nôtres. Dans les premiers jours de 1889, M. Pavie revint à la côte en partant de Luang-Prabang par la voie de La Khône à Vinh ; il détermina avec les commissaires siamois une ligne de démarcation qu’ils s’engagèrent à ne point franchir jusqu’au jour où serait tranchée la question de nos droits