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sur l’Annam, le Cambodge et le Siam. Une autre entente temporaire, basée sur le maintien du statu quo, fut encore l’objet de négociations à Bankok, à peu près vers cette époque, entre M. de Kerkaradec et le prince siamois Devawongié, ministre des Affaires étrangères. Ce prince est le même qui, depuis l’arrivée de M. Le Myre de Vilers à Bankok, est tombé sous l’influence, par trop opportune pour qu’elle soit vraie, d’une attaque de dysenterie. On dit que, pour le guérir, il ne s’agirait que de faire appel aux talens opératoires du contre-amiral Humann, c’est-à-dire à ses canonnières. Quoi qu’il en soit, les engagemens pris par ce ministre avec les représentans français n’ont jamais été observés.

M. Pavie était à peine de retour au quai d’Orsay, qu’il repartait aussitôt pour l’Indo-Chine, accompagné d’auxiliaires tellement dévoués à leur mission que l’un d’eux, M. Massie, exaspéré de l’abandon que la France semblait faire de sa dignité dans ces parages, se brûlait la cervelle[1]. Un syndicat commercial et industriel dans le haut Laos, constitué en 1889, à Paris, pour exploiter les produits du Mékong, comme aussi pour ouvrir un mouvement commercial entre les possessions françaises, Luang-Prabang et l’intérieur des États Shans, eut l’heureuse idée de déléguer un de nos compatriotes, M. Macey, pour suivre M. Pavie. Il est regrettable qu’on n’ait pas adjoint (à ce dernier, dès son arrivée au Tonkin, des fonctionnaires annamites et cambodgiens pour représenter leurs provinces envahies par les Siamois. Notre présence leur eût permis de parler haut devant leurs oppresseurs. Peut-être eût-on vu se réveiller dans leurs âmes un sentiment patriotique que nous aurions tort de croire tout à fait endormi. Une invasion dans le (royaume de Siam, par des contingens levés et armés par nous au Cambodge, au Tonkin et en Annam, serait la plus populaire des guerres.

  1. Le prince Henri d’Orléans, dans un article publié dans la Politique coloniale, parle en ces termes de notre infortuné compatriote :
    « C’est en mars 1892 que j’ai rencontré M. Massie sur la Haute-Rivière-Noire, à Laï-Chau ; il revenait d’un voyage dans le haut Mékong, où il avait poussé jusqu’à la frontière de Chine, et d’une tournée dans les Siprompanas, et il se préparait à redescendre à Luang-Prabang. Son excursion l’avait édifié au sujet des projets et des menées des Anglais, dont il avait trouvé l’influence établie par le séjour d’un mois de M. Archer et de lord Hamington dans le petit État de Muong-You, à cheval sur le Mékong.
    « Quant au nom de la France, il l’avait trouvé tourné en dérision ; dans certains villages les petits drapeaux tricolores donnés par M. Macey portaient des queues de poissons en signe de raillerie.
    « Ce qu’il me disait, il y a maintenant près d’un an, il ne pourra le répéter en France : M. Massie n’est plus ; c’est aux environs de Bassac qu’il est venu tomber, en route pour le pays, dominé par la maladie, torturé par la fièvre, poursuivi par l’idée de la persécution, c’est-à-dire de l’impuissance où il était, lui, officier français, de faire respecter le nom de la patrie. »