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livre intitulé : Wagner tel que je l’ai connu, et qui, à être pris au sérieux, constituait pour la littérature wagnérienne un document d’une importance extrême : car Præger, en outre d’un très grand nombre de lettres intimes et confidentielles de Wagner, y transcrivait encore, — d’après son journal, disait-il, — Tout le détail de nombreuses conversations qu’il avait eues avec le maître allemand, sur les sujets les plus divers, pendant « les cinquante ans de leur étroite et fraternelle amitié ».

Amitié étroite et fraternelle en effet, car, comme le disait Præger, « Wagner et moi en étions venus à ce point d’intimité que la séparation de nos corps ne nous séparait plus : nous étions unis à travers l’espace, et l’échange continuel de nos idées nous montrait sans cesse davantage combien profondément nous nous comprenions l’un l’autre. »

Et pour ceux qui seraient étonnés de cette importance que Wagner attachait aux idées de son ami, Præger ajoute que c’est lui qui, dans une visite à Zurich en 1856, a suggéré le sujet et le plan de Tristan et Isolde.

Aussi son livre n’a-t-il point manqué de mettre en émoi tout le monde musical. Et l’émoi a été d’autant plus fort que Pærger, pour mieux attester sans doute le caractère tout intime de son amitié, ne perdait pas une occasion de dire de Wagner tout le mal possible, le représentait comme un homme lâche, débauché, menteur, et publiait même une lettre où Wagner parlait de sa première femme en des termes tout à fait fâcheux.

Les anti-wagnériens (car, chose à peine croyable, cette espèce existe encore) triomphaient ; les wagnériens baissaient la tête, devant l’impérieuse évidence des faits.

C’est alors qu’est intervenu M. H. Stewart Chamberlain. M. Chamberlain s’est fait depuis quelques années une situation tout à fait à part dans la littérature wagnérienne. Sans se piquer d’avoir été l’ami de Wagner, il s’est consacré tout entier à l’étude de son œuvre et de sa vie. Anglais d’origine, il s’est installé en Allemagne, et, pour mieux comprendre les écrits de Wagner, il s’est mis lui-même à penser, à écrire en allemand. Il a oublié ses idées, ses opinions personnelles, pour rechercher quelles avaient été au juste, sur tous les sujets, les idées, les opinions de Wagner. Et il est ainsi parvenu à un degré d’érudition wagnérienne quelque peu effrayant. Je ne serais point surpris qu’il connût jour par jour la vie de Wagner, et page par page les onze gros volumes de ses écrits. Et comme lui-même écrit avec une clarté, une précision remarquables, comme il entretient en outre des relations constantes avec Mme Wagner et le petit monde de Bayreuth, chacun des articles qu’il publie dans les revues allemandes fait aussitôt autorité parmi tous ceux qui s’occupent de Wagner.

M. Chamberlain s’est donc décidé à lire d’un peu près le livre de Præger, et tout de suite il a découvert certaines particularités assez