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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/480

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sont renversés ; c’est 1 empereur qui, par l’organe de son ministre, le comte Taaffe, offrait le progrès ; ce sont les députés qui le refusent.

Si M. Guizot avait proposé, en 1847, l’abaissement du cens et l’adjonction des capacités, et que la Chambre des députés eût repoussé ses projets et l’eût obligé à rendre son portefeuille, on se demande ce qu’aurait fait le roi Louis-Philippe, mais on sait bien ce qu’il aurait dû faire. L’empereur François-Joseph s’est incliné, il a retiré son présent et accepté, non sans regrets, la démission d’un ministre qui venait de célébrer, sous les tilleuls de, son château d’Ellischau, le quatorzième anniversaire de sa nomination comme chef du cabinet cisleithan. Arrivé au pouvoir en août 1879, le comte Taaffe n’avait jamais cessé de jouir de la confiance du souverain, comme de la méfiance de la plupart des groupes de la Chambre. Aussi posait-il en principe que, pour bien gouverner, on ne doit satisfaire aucun parti. Il est vrai qu’il n’existe pas, dans la Chambre autrichienne, de majorité proprement dite, et le premier ministre, homme d’esprit, toujours gai, voire un peu sceptique, s’était toujours arrangé pour s’en passer. Il évitait les questions irritantes et ne professait aucun goût pour la grande guerre.

Cependant la nouvelle session du Reichsrath s’ouvrait, le 10 octobre dernier, sous des auspices assez sombres. Aucune des coalitions, jusque-là usitées, qui permettaient au cabinet de vivre, ne se trouvait possible, si grand était l’émiettement des groupes et si divers leurs intérêts. La répression sévère, d’aucuns disent excessive, des efforts nationalistes de la Bohême, les protestations des députés tchèques qui en étaient la conséquence ; enfin l’agitation qui n’avait cessé de se poursuivre et de grandir, durant tout l’été, à Vienne et dans les principaux centres de l’empire, en faveur du suffrage universel et direct, tout cela promettait au ministère des séances orageuses. Les plus audacieux cependant parmi les députés, ceux mêmes qui affirmaient que l’avènement des masses rurales et ouvrières à la vie publique n’était plus qu’une question de temps, ne croyaient pas être si près du but ; et ce fut un vrai coup de théâtre dans la séance d’ouverture du Parlement, que de voir le comte Taaffe monter à la tribune et déclarer que « l’examen attentif des mouvemens qui s’étaient produits en Autriche et à l’étranger pendant ces dernières années, avait inspiré au gouvernement la conviction que son devoir l’obligeait à prendre l’initiative, dans une question aussi grave que celle de la réforme électorale ».

Le ministre ajoutait que « le principe de l’extension du droit de suffrage à tous ceux qui remplissent leurs devoirs de citoyens, était considéré par le gouvernement comme un postulat de la raison d’État ; vu que c’est seulement en élargissant à temps et suffisamment l’électorat, que l’on peut écarter d’une façon efficace les dangers dont les classes populaires, encore privées des droits politiques, menacent la