et les possessions russes. Mais il n’en est pas ainsi : le problème est bien plus vaste et d’un intérêt bien plus général encore, en même temps que plus capital pour les deux empires en présence. Il ne s’agit pas d’une simple question de délimitation de frontières, ni même seulement d’une question de sécurité future pour les deux puissans pays qui vont devenir limitrophes. Il y a plus.
La Russie, étendant de proche en proche ses conquêtes à travers l’Asie, par une marche qui depuis deux siècles ne s’est jamais arrêtée ni ralentie, a achevé maintenant, en conquérant par larges tranches le Turkestan et la Sibérie, d’appliquer le programme tracé par Pierre le Grand et par Catherine II. Elle possède aujourd’hui dans le nord de l’Asie une surface deux fois plus grande que l’Europe entière, et, après avoir eu la patience d’annexer laborieusement et pied à pied, pendant de longues années, d’immenses déserts de glaces ou des steppes improductives, elle a entamé, dans les trente dernières années, la conquête de pays plus riches et plus peuplés qui lui constituent un magnifique domaine. Pour que cet immense territoire puisse être utilisé, pour que cette domination soit viable, pour que ce domaine constitue, non pas une simple expression géographique appliquée à la partie hyperboréenne de l’Asie, comme l’était, par exemple, l’ancienne Scythie, mais un empire véritable, pour que le Tsar blanc, reconnu par tous les peuples de l’Asie connue l’héritier direct des Grands-Khans mongols, soit le souverain, nous ne dirons pas d’un État riche, mais d’un État simplement viable et gouvernable, il faut que l’Empire russe arrive à toucher, par sa frontière sud, la mer des Indes. Il forme, en quelque sorte, un immense triangle ayant pour base l’océan Glacial et s’appuyant d’une part à l’océan Pacifique, de l’autre à la mer Baltique. Ce grand triangle, essentiellement continental, est fort difficile à administrer et à parcourir intérieurement, et cela à cause de son immensité même, qui, à un autre point de vue, au point de vue défensif, fait aussi sa force. Il est en outre presque sans communication avec le reste du monde, car les mers polaires, le long desquelles s’étend sa base, ne sont pas navigables, et du côté du sud il est bloqué presque partout par d’immenses déserts et des montagnes infranchissables qui le séparent de pays d’ailleurs pauvres, peu civilisés et peu praticables eux-mêmes. Il faut donc tout au moins que ce triangle ait à ses trois sommets, sommets plus ou moins larges et tronqués, trois sorties maritimes, l’une à l’est, sur l’océan Pacifique, l’autre à l’ouest, sur la mer Baltique, la troisième au sud, sur la mer des Indes. Les deux premières ont été obtenues au prix de grands sacrifices, et elles sont encore médiocres. La mer Baltique est