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surface géographique très vaste, mais parcourue par des hordes nomades sans consistance, sans valeur politique, et sans grand poids dans la balance de l’équilibre international, il faut qu’elle se hâte de faire brèche à la ceinture continue d’annexions, allant du cap de Bonne-Espérance à l’Australie, par laquelle l’Angleterre a fait, en peu d’années, de l’océan Indien un lac anglais. Par l’annexion de l’Afrique orientale, par la conquête de la région du Zambèze, arrachée il y a quatre ans au Portugal, au mépris du droit des nations, par l’enlèvement d’Emin-Pacha, par l’annexion déguisée de l’Egypte, par l’abandon de la région du Haut-Nil au Mahdi, ce qui permet aujourd’hui d’entamer la conquête de ce même pays par le sud, non plus au profit de l’Egypte, à qui il appartenait, mais au profit direct de la compagnie anglaise de l’Est africain, l’Angleterre s’est approprié, du cap de Bonne-Espérance à Alexandrie, un immense arc de cercle qui comprend toute la partie haute de l’Afrique, c’est-à-dire qui prélève sur ce grand continent toute la zone fertile, tempérée et habitable par les européens. On a leurré la France pendant le peu de temps qu’a duré cette opération si importante et si habilement menée, en lui abandonnant, dans l’ouest du continent africain, les déserts du Sahara, qui ne rapporteront jamais le quart de ce qu’ils auront coûté, et le Soudan occidental, qui ne vaut guère mieux ; encore les Anglais ont-ils eu soin, dans ce dernier pays même, d’en distraire d’abord à leur profit toutes les parties qui pouvaient avoir quelque valeur, par exemple les territoires du Bas-Niger, occupés aujourd’hui par la compagnie anglaise de ce nom. Les territoires anglais de Lagos et du pays des Achantis encadrent la récente conquête du Dahomey, et s’étendent vers le nord plus loin et plus rapidement qu’elle. Enfin, malgré tous nos sacrifices sur le Haut-Niger, tout récemment encore, les dissentimens survenus entre le capitaine Binger, chargé de délimiter les possessions françaises de la côte d’Ivoire, et les commissaires anglais, viennent d’être tranchés par une convention qui donne à la colonie de Cape-Coast la faculté de s’étendre librement vers le nord dans l’intérieur des territoires de cette boucle du Niger où nos expéditions nous ont coûté déjà si cher. On voit avec quelle habileté et quel succès les Anglais ont manœuvré en Afrique contre la France : ils manœuvrent en ce moment en Asie contre la Russie d’une façon qui paraît près d’aboutir à un succès égal, malgré la force de leurs adversaires, et bien que l’attention de ceux-ci soit depuis longtemps fixée tout entière sur les points litigieux.

L’immense arc de cercle, long de 8 000 kilomètres, dont nous avons parlé tout à l’heure, que les Anglais ont occupé dans