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de vouloir bien examiner avec son attention ordinaire si l’on doit abandonner un malade dans un tel état de délire et de prostration, ou placer auprès de lui quelqu’un de bonne volonté. » Cette dernière demande est refusée.

Au Caire, des moines du presbytère italien ont poussé la frayeur, en 1841, jusqu’à saisir avec de petites pincettes l’hostie qu’ils donnaient à des communians. En Égypte encore, l’habit des médecins et autres personnes visitant les pestiférés était de maroquin du Levant, le masque avait les yeux de cristal, et on avait adapté un long nez rempli de parfums.

À Marseille, de malheureux pestiférés mouraient sans avoir vu un médecin ni un chirurgien. À ceux-là on jette un bistouri pour qu’ils ouvrent eux-mêmes leurs bubons.

Dans un cas, un malade, après être resté trois jours sur le carreau, est tiré sur un matelas à l’aide de crochets. Ailleurs, des malheureux accusés d’avoir empesté une ville en frottant des rampes d’escaliers avec des emplâtres chargés de pus de bubons pestilentiels ont été livrés au dernier supplice.

À une époque plus rapprochée de nous, un pestiféré n’était vu qu’au sixième jour avec des lunettes d’approche. Et vers la fin de notre siècle, en 1878, la peste a donné lieu, sur les bords du Volga, à des scènes qui rappellent le moyen âge :

Par un froid de 8°-10° Réaumur, les malades restèrent abandonnés sans soins, sans alimens, sans vêtemens, dans des maisons dont les vitres avaient été brisées par quelques fanatiques. Des enfans déguenillés, amaigris, couraient les rues en pleurant, chassés partout et mourant de froid et de faim.

Une femme entrée au lazaret y reste sans connaissance un jour ou deux, et, revenant à elle, se trouve entourée d’une vingtaine de cadavres, et constate qu’elle a les pieds gelés. Elle crie inutilement pendant plusieurs heures, et le mortuus (infirmier spécial des pestiférés), en arrivant, tombe ivre devant elle. Les cadavres restent une douzaine de jours sans être ensevelis.

Un pope meurt, et comme personne ne veut l’enterrer, sa sœur et sa femme enceinte creusent un fossé dans la terre gelée ; elles succombent toutes deux trois jours après.

Le choléra de Naples en 1884 et, tout récemment ceux d’Espagne et de Russie ont donné lieu à des scènes aussi sauvages.

Le premier règlement général sanitaire qu’ait eu la France est du 25 août 1683. Il prescrit les précautions à prendre pour empêcher que la peste ne s’introduise dans le royaume. Ce règlement, publié à Fontainebleau, porte la signature de Louis XIV et de Colbert. En 1721, la ville de Marseille fit une application curieuse de ce règlement : elle s’en est servie pour refuser l’entrée