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cinq hommes, une somme de 8 fr. 96 à partager ; or comme l’ouvrier prend sur cette masse le salaire fixe de deux auxiliaires, mettons 7 francs seulement pour les deux hommes, le hercheur et l’apprenti, il va rester pour les trois ouvriers à la tâche 1 fr. 96 à partager. Et le calcul ne s’arrête pas là. En deux jours la compagnie a confisque ! 35 berlines comme charbons sales et a frappé l’équipe de 35 amendes à 2 francs. C’est 70 francs à retrancher de 1 fr. 96 ou plutôt c’est 1 fr. 96 à retrancher de 70 francs ; au lieu de toucher un salaire et d’en distribuer un à ses compagnons, « l’homme à la veine » devra rapporter à la compagnie une somme de 69 fr. 04. Si le calcul est exact, pour descendre dans les mines et exercer le rude métier » d’ouvrier « à la veine », il faut être millionnaire.

Notre observation n’a pas pour but de démontrer combien sont inexactes les allégations du calculateur, mais combien il est vain de chercher en dehors des renseignemens précis, que peuvent seules fournir les comptabilités des sociétés, la moyenne des salaires payés au mineur, et l’on comprend que, pour échapper à ces exagérations, nuisibles à sa cause, celui-ci ne se contente pas, pour établir ses comptes, d’une simple fiche volante et qu’il réclame un carnet personnel où son salaire sera inscrit en détail ainsi que son décompte. Pour aller au-devant de toute objection touchant la sincérité ; des écritures des sociétés, il nous suffira de rappeler qu’elles sont soumises, pour les redevances à payer, au contrôle de l’Etat et que ce contrôle est exercé par des hommes que leur grand mérite et leur haute capacité met à l’abri de tout soupçon. Les rapports de courtoisie et de gens bien élevés qu’ils entretiennent avec les administrateurs des concessions houillères ne leur enlèvent ni un grain d’indépendance ni un atome de bienveillance pour les ouvriers. Tout au plus pourrait-on désirer qu’ils descendissent plus souvent dans les puits, mais il leur serait peut-être difficile d’en trouver le temps nécessaire dans un centre houiller qui s’étend chaque jour et au milieu des travaux qui leur sont imposés.


II

Avant d’exposer la première phase de la grève, il est bon de faire connaître la situation de l’extraction houillère, dans le Pas-de-Calais. Sans en résumer l’histoire, que chacun peut lire dans le livre de Murat, rappelons seulement que la houille, dont l’existence dans le Pas-de-Calais était soupçonnée depuis longtemps et indiquée par la science, fut découverte durant une opération de sondage dans le parc du château d’Oignies, appartenant à Mme de