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plus dévoué a su de presque rien, d’un premier puits creusé à Lens, tirer la fortune pour une foule de familles et pour plus de 6 000 ouvriers ; M. Evrard s’étonne qu’il soit, sur ses vieux jours, assuré de laisser après lui une opulence qu’il doit à son caractère, à son savoir, à sa haute probité, à son travail. L’administration est pour ce champion de la première heure trop généreuse et ne l’est pas assez pour ses ouvriers d’hier qui lui feront défaut demain ; et, laissant échapper sa sourde pensée, si Marles, privé de sa section syndicale, refuse de cesser le travail, on saura l’y contraindre. Suivant cet orateur conciliant, les houillères du Pas-de-Calais ont en trois ans réalisé en moyenne 51 millions de bénéfice par an. Si l’on consulte les statistiques officielles on a la preuve que, pendant la période indiquée par M. Evrard, ces houillères ont distribué 69366000 francs de salaires, pendant qu’elles réalisaient un bénéfice de 28 millions, et non de 51 millions, dont une forte partie était consacrée à des travaux neufs, c’est-à-dire productifs de salaires pour de nouveaux ouvriers. Il faut avoir bien peu le respect de son auditoire pour le tromper à ce point, et l’on voit par là quelle confiance on peut apporter aux autres assertions de M, le secrétaire général adjoint. Il faut exciter les passions ; on le fait au moyen de chiffres dont pas un n’est exact. Les braves gens s’indignent que des hommes qui ne font rien de leurs bras puissent avec leur cerveau gagner des émolumens fabuleux, et en sortant de ces assemblées il leur vient l’envie de crier : « Au voleur ! »

Ces réunions inaugurées à Lens vont se poursuivre dans tout le bassin, le 28 août à Meurchin, le 8 septembre à Vendin-le-Vieil, à Bully-Grenay, à Bruay, à Ostricourt, etc. Toujours les mêmes questions, les mêmes récriminations, les mêmes allégations mêlées de déclamations et d’injures suivant le tempérament de l’orateur. L’heure solennelle approche, les délégués du syndicat sont convoqués à Lens pour le 10 septembre. De ce « congrès », c’est le nom qu’on donne à cette assemblée, doivent sortir les plus graves résolutions. On y traitera surtout des moyens « de mettre un frein à la diminution constante des salaires ». Pour ne pas soulever contre soi l’opinion, on parlera « de conciliation, y compris l’arbitrage. » C’est dans le journal officiel du syndicat que nous cherchons cette fois nos renseignemens afin de n’y rien introduire que ce qu’il a plu au syndicat d’y faire figurer.

On a battu le rappel et chauffé l’opinion. Dans chacune des sections du syndicat, des réunions ont eu lieu ; des délégués ont été nommés : l’assemblée se compose de 85 membres, dont 52 sont cabaretiers et 27 seulement ouvriers mineurs. Les autres