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très au-dessus des hommes qui possèdent soit les ressources matérielles, soit les capacités techniques ; la direction industrielle doit partir, non de ceux-ci, mais de ceux-là, par voie tout au moins de délégation.

Le mot de coopération, dans le sens où il est actuellement usité dans tout pays, se trouve complètement détourné de son acception naturelle et primitive. Quant à son étymologie, il ne pourrait signifier que le concours de divers hommes ou de divers élémens pour une œuvre ou un résultat communs.

Le célèbre et impuissant réformateur Robert Owen a lancé ce terme dans le monde en lui donnant une autre signification qu’il a conservée. La coopération s’entend d’une association d’un genre particulier, reposant plus sur les personnes que sur les capitaux, poursuivant un but non seulement financier, mais moral, ayant des ambitions de palingénésie ou de régénération. La coopération, en tant que système, se propose d’exclure graduellement toute entreprise individuelle, du moins toute entreprise employant un certain nombre de personnes et où l’une d’entre elles seule aurait toute l’initiative, tous les pouvoirs de direction et toute la responsabilité.

On pourrait contester que l’élément éthique, pour parler comme les nouveaux économistes, doive nécessairement tenir une place dans la coopération, et l’on ne serait pas embarrassé de citer quelques modestes groupemens d’ouvriers ou d’artisans qui, sans autre souci que de faire convenablement leurs affaires, constituent des sociétés coopératives de fait.

Il n’en est pas moins vrai que la plupart des chefs du mouvement coopératif en tout pays invoquent en faveur de leur système au moins autant l’utilité morale ou éthique, que les avantages matériels. L’un d’eux dira, en parlant des sociétés coopératives de crédit : « l’association coopérative n’est pas un groupement numérique, comme une assurance », et il fera ressortir que l’éducation, le développement de la valeur personnelle de chacun des associés entre à la fois, comme but et comme moyen, dans la coopération. Un autre écrira que « les sociétés coopératives ne sont pas une affaire, mais une œuvre. »

En s’en tenant au côté purement économique, on peut définir la société coopérative par ces deux objets qu’elle se propose : 1° la subalternisation du capital au travail, c’est-à-dire du capitaliste et des capacités techniques à la masse des ouvriers ou employés ; 2° la suppression de l’entrepreneur en tant qu’être personnel et distinct et la dispersion, la précarité de la direction de l’entreprise, laquelle serait confiée à des mandataires à temps délégués par la masse.