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la Méditerranée de Marseille à Jaffa, quelques minutes représentaient des années ; Hérode envoie un messager à Tibère ; à peine le tétrarque a-t-il fini de parler que déjà son serviteur est à Rome, et accomplit sa mission. Noé entre dans l’arche et ferme sa fenêtre, — un instant de silence, — la fenêtre s’ouvre, Noé passe la tête et déclare que les quarante jours sont finis. (Mystères de Chester).

Afin de faciliter un peu sa tâche au public on prenait certaines précautions pour qu’il sût où il était ; parfois un écriteau indiquait le pays représenté, usage qui comme tant d’autres, issu des mystères, se retrouve sur les théâtres du temps d’Elisabeth : « On écrit Thèbes en grosses lettres sur une vieille porte, dit sir Philip Sidney, et, sans en demander davantage, nous devons nous croire à Thèbes. » D’autres fois l’acteur, s’inspirant par avance des préceptes de Boileau « décline son nom », ce qui permet de se reconnaître dans cette foule : Je suis Hérode ! Je suis Tibère ! Ou encore les personnages en se transportant d’un lieu à un autre s’écrient : Nous voici arrivés, je reconnais Marseille ! Tous ces procédés se retrouvent dans Shakspeare, avec le génie en plus. C’est le même procédé qui lui fait faire en vers merveilleux ces descriptions de paysages, de châteaux forts, de landes désertes, pour suppléer au décor absent par un appel à l’imagination. S’il y avait eu des décors, la description eût fait double emploi et eût été hors d’œuvre.

Quelques essais de décors étaient tentés cependant, mais si naïfs que c’étaient encore des signes et symboles plutôt que des représentations des lieux. Un trône signifiait le palais du roi ; Dieu sépare la lumière des ténèbres : « Adoncques se doit monstrer ung drap painct, c’est assavoir la moytié toute blanche et l’autre toute noire. » La crémation des animaux se rapproche davantage de la réalité : « Adoncques doit-on secrettement getter petis oyseaulx volans en l’air, et mettre sur terre oysons, cynes, canes… avecques le plus de bestes estranges qu’on pourra trouver. » L’état d’innocence était représenté innocemment : « Adoncques se doit lever Adam tout nud et faire grandes admirations en regardant de tous costez. » Le public lui rendait sans doute admiration pour admiration. Même simplicité dans les mystères anglais qui ajoutent une recommandation pratique à l’adresse des acteurs : « Ici Adam et Eve se lèveront, tout nus, et il faudra qu’ils n’aient pas honte. » Le moment d’avoir honte viendra du reste un peu plus tard ; le serpent « sort de son trou » et fait son office : « Adoncques doit Adam couvrir son humanité faignant d’avoir honte. Icy se doit semblablement vergongner la femme et se musser (cacher) de sa main… »