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La dame n’est aucunement pacifiée ; pourquoi lui avoir fait mystère de tout cela, et n’avoir pas pris son avis ? Voilà cent ans que son mari travaille à l’arche et elle n’en savait rien ! Il n’est du reste guère agréable de quitter la terre ferme pour vivre en bateau ; dans tous les cas il lui faut le temps de faire ses paquets ; et puis il faudra qu’elle emmène ses commères pour avoir à qui parler. Noé, qui déjà, en construisant son navire, s’est exercé à la patience, ne perd pas courage ; il reçoit un soufflet, il ne se rebute pas. La femme entre enfin, et avec elle, comme on peut croire, l’orage est dans l’arche.

Saint Joseph est un pauvre artisan, décrit d’après nature, ayant le langage des artisans, leurs mœurs, leurs ignorances, leurs aspirations. Peu de monumens de la littérature du moyen âge contiennent de meilleures descriptions de l’ouvrier que les mystères où il figure. Quelques-uns de ses discours mériteraient d’être transcrits dans les recueils de Political Songs. L’empereur Auguste a profité de l’occasion du recensement pour faire proclamer un impôt nouvellement mis par lui sur tous ses sujets : « Ah ! Seigneur ! s’écrie le saint (dans les Mystères de Chester), que vient faire cet homme ici ? Le bien du pauvre est toujours menacé. J’apprends par la proclamation de ce braillard qu’il me faut payer tribut, et le grand âge et le manque de forces m’ont empêché de rien gagner tous ces temps derniers. Arrive maintenant l’envoyé du roi pour prendre tout ce qu’il peut. Avec cette hache que je porte, cette vrille et cette tarière, un marteau, toujours en détresse, j’ai gagné mon pain. Je n’ai jamais eu château, tour ni manoir, j’ai fait en pauvre charpentier ce que j’ai pu avec ces outils ; et si maintenant il me reste le moindre rien par devers moi, il faut que je le paye au roi. » Il n’a plus qu’un bœuf, il va le vendre. On pense si, dans le siècle qui vit, en Angleterre, les statuts sur les ouvriers et la révolte des paysans, ces paroles restaient sans écho dans l’auditoire.

Les scènes de ménage entre Joseph et Marie sont également curieuses au point de vue des mœurs, mais trop de grossièreté s’y mêle pour qu’on puisse les reproduire.

Dès que les gens du peuple figurent sur la scène, presque toujours le dialogue s’anime, et nous avons affaire à des personnages vivans. À côté des ouvriers représentés par saint Joseph figurent les paysans représentés par les bergers de Noël. Ce sont des bergers anglais du moyen âge ; s’ils jurent par le Christ un peu prématurément, on en est moins surpris quand on les entend nommer les pays où ils vivent : le comté de Lancastre, la vallée de la Clyde, Boughton près Chester, Norbury près Wakefield. De