Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/873

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
867
PENTHÉSILÉE.

Quelques instans après elle, je reprenais le chemin de Palerme.

Les jours suivans, nous nous revîmes à l’hôtel ; je m’approchais d’elle, je m’enquérais de sa santé, nous échangions quelques propos insignitians et je mettais fin très vite à une conversation qu’elle ne semblait pas désireuse de prolonger.

La veille de mon départ pourtant, nous causâmes longuement. Le dîner venait de finir et huit heures sonnaient à peine. La soirée, — c’était la première de mai, — était tiède et lumineuse. Mme d’Égly, assise sur un banc du jardin, se disposait à rentrer déjà lorsque j’allai lui faire mes adieux. Elle m’invita à m’asseoir à ses côtés. Tenait-elle à me laisser d’elle une impression moins vague, moins indifférente que celle qu’elle m’avait donnée jusqu’alors ? Voulait-elle me remercier de n’avoir pas abusé du hasard qui nous avait un instant rapprochés l’autre jour et d’avoir deviné son désir secret d’isolement ? Toujours est-il que, se départant de sa réserve habituelle, elle me témoigna pour la première fois un peu de confiance et même d’abandon.

J’appris ainsi qu’elle voyageait depuis huit mois en Italie pour la santé de sa fille ; elle la conduirait ensuite, pendant l’été, sur une plage de l’Océan, d’où elle espérait pouvoir la ramener à Paris, guérie et fortifiée, aux premiers jours d’automne.

Pas une fois elle ne prononça le nom de son mari.

Elle me parla ensuite des lieux qu’elle venait de visiter, surtout de Rome et de Florence. Avec le prestige de ses souvenirs, avec ses marbres et ses ruines, ses basiliques et ses palais, Rome l’avait plus intéressée qu’émue. Et puis le contraste brutal de la poésie du passé avec les banalités de la vie moderne l’avait trop souvent choquée. Mais elle gardait à Florence un souvenir intact et plein de regrets. Elle se rappelait avec une sorte de tendresse les fresques de Santa Maria Novella et du Carmine, le petit couvent de San Marco, les trésors des Uffizzi et du Bargello, les collines de l’Arno, Fiesole, son campanile et ses cyprès découpant leur silhouette sur l’azur du ciel, enfin tout ce qui fait de Florence un lieu privilégié, un séjour incomparable pour le culte d’une pensée unique, pour un rêve du cœur ou de l’imagination.

Je la laissais parler, curieux de la sentir s’animer au réveil de ses impressions accumulées et de la voir s’ouvrir si naturellement, sans effort ni coquetterie, à un homme que, une heure auparavant, elle traitait encore comme le plus indifférent des étrangers.

Une horloge du voisinage, qui sonna dix heures, interrompit brusquement notre entretien. Elle se leva, me dit adieu en me tendant la main et s’en alla vers l’hôtel.

Je restai une grande heure encore à jouir de cette nuit, douce et parfumée comme une nuit d’été, si claire qu’au ciel on ne dis-