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Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/881

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PENTHÉSILÉE.


tière, et chaque jour qui passe me semble perdu pour le bonheur. Si vous saviez quelle tristesse m’étreint certains soirs !… Mais pourquoi n’ai-je pas éprouvé plus tôt ce que je vous confie là ? Pourquoi est-ce d’aujourd’hui seulement que je sens au dedans et autour de moi ce vide affreux ? J’étais heureuse quand vous m’avez connue. Par quelle raison ce qui me satisfaisait alors ne me suffit-il plus à présent ?… « Elle continua quelque temps ainsi, d’un ton très simple, sans s’interrompre, sans chercher ses mots : seulement elle avait un peu d’émotion dans la voix et, par instans, elle s’arrêtait pour reprendre haleine.

Je l’écoutais, ne lui répondant que par quelques paroles affectueuses et vagues, comme on fait à un enfant qu’on veut endormir ou consoler.

Enfin, quand nous nous séparâmes, elle me dit avec une gravité tendre : « Aimez-moi un peu, mon ami ; j’ai tant besoin de votre amitié. » Et il me sembla qu’elle retenait une larme entre ses cils.

IV

Après cet entretien, il ne m’était plus permis de douter de ses sentimens pour moi. Mais quels étaient les miens à son égard ? Un soir déjà, revenant de chez elle à travers les rues désertes, je m’étais demandé si je n’étais pas sur le point de l’aimer, et, sans même m’arrêter à la question, je m’étais répondu : Non.

Cette fois je m’examinai plus à fond. Assurément, Mme d’Égly m’intéressait. J’étais sensible d’abord à son élégance, à sa distinction morale, à son charme d’intelligence et d’honnêteté. Elle me plaisait ensuite parce qu’elle ne ressemblait pas aux autres femmes, parce qu’elle n’avait rien de leur grâce factice, parce qu’elle gardait toute la fraîcheur, toute la saveur d’un être simple en la sincérité de sa nature première. Enfin, je lui savais gré de n’avoir, dans son trouble présent, ni coquetterie sentimentale, ni mélancolie romanesque, mais d’être à la fois si discrètement et si profondément émue.

Mais, de là à l’aimer, quelle différence ! Je ne reconnaissais en moi aucun des symptômes de la passion naissante, ni ce frisson particulier qui fait tressaillir notre être quand s’allume en lui la flamme d’un désir nouveau. Près de Mme d’Égly comme loin d’elle, sous l’action directe de son charme comme sous l’influence de son souvenir, je restais maître de moi, dans une complète tranquillité d’âme, dans une parfaite lucidité d’esprit ; sa pensée m’occupait, me distrayait, mais ne m’obsédait pas, et, même aux heures de rêverie, me laissait sans fièvre et sans trouble. Je ne l’aimais donc pas. Elle remuait au fond de moi un vague instinct de tendresse ;