Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 120.djvu/882

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
876
REVUE DES DEUX MONDES.


j’avais pour elle une sympathie sérieuse, un attachement respectueux, une amitié d’essence particulière comme pour un être d’élite, pour une créature rare et délicate, — rien autre, rien de plus.

Mais, si j’étais sûr de moi, pouvais-je répondre de nous ? Je n’étais plus assez novice dans les aventures de ce genre, pour croire qu’il fût possible de maintenir longtemps encore, dans les limites de l’honneur et de la raison, des relations d’une intimité aussi étroite et aussi facile. L’issue était fatale. Avant un mois, du train dont battait son cœur, ma pauvre amie tomberait dans mes bras. Sans doute, elle était aussi désirable qu’aimable, elle serait une maîtresse exquise ; mais elle était de ces créatures qui mettent toute leur vie dans leur amour et, quand elles se sont données, ne se reprennent jamais. Or, il y avait longtemps que je m’étais affranchi des misères du cœur, des responsabilités de la passion sincère comme des enfantillages de la passion simulée, et qu’une irrésistible aversion me détournait de tout engagement.

Ma conduite avec Mme d’Égly m’était dès lors toute tracée. Changer au plus tôt d’attitude envers elle, faire mes visites moins fréquentes et nos causeries moins intimes, surtout prévenir de sa part toute confidence nouvelle ; en un mot, la rendre insensiblement à elle-même. De la douceur, un peu d’habileté, y devaient suffire. Et fier de renoncer ainsi à une affection si bien faite pour flatter ma vanité, je m’applaudissais, comme d’un acte méritoire et chevaleresque, d’un parti où il entrait pour le moins autant de prudence que de probité.

Ma décision prise, je commençai, pour la mettre en pratique, par demeurer trois jours sans aller rue Rembrandt. Le quatrième jour, l’idée me vint d’y passer avant déjeuner afin d’avoir un prétexte plus naturel d’abréger ma visite.

C’était la première fois que je me présentais le matin chez Mme d’Égly. À onze heures, j’entrais dans son salon. Elle était encore dans sa chambre.

Tandis que je l’attendais à feuilleter un cahier de musique resté ouvert sur le piano, je ressentis soudain une pression douce. C’était elle, qui, me posant ses deux mains sur les épaules, me murmurait un « bonjour » à l’oreille. Elle avait marché si légèrement, que je ne l’avais pas entendue s’avancer jusqu’à moi. Après avoir joui un instant de ma surprise : « Ah ! fit-elle, la gentille idée que vous avez eue de venir me voir ce matin ! Me voici heureuse pour toute la journée. »

Une fraîche odeur d’iris et de verveine, parfum du lit ou parfum du bain, s’exhalait d’elle ; la torsade qui relevait ses cheveux très haut au-dessus de la nuque faisait paraître plus petite encore sa