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On comprend qu’il en soit ainsi. Dans tout métier qui demande peu de capital, il est facile à quelques hommes énergiques, au nombre d’une demi-douzaine ou d’une ou deux douzaines, de se constituer par eux-mêmes celui qui est nécessaire ou, après avoir fait un premier fonds, subissant les premiers risques, de se procurer le surcroît, l’appoint qui leur est indispensable et auquel ils accordent un privilège. Quand non seulement le métier exige peu de capital, mais qu’il ne réclame pour la direction aucune capacité technique ou intellectuelle très marquée, qu’il constitue une sorte de routine connue, qu’il entre dans la nature des besognes courantes quasi-immuables que chaque homme d’une intelligence moyenne et d’une moyenne instruction peut diriger, la nécessité d’un chef très supérieurement traité n’apparaît pas. Quand, de plus, la nature de l’entreprise fait que le groupement est peu considérable, qu’il ne dépasse pas une, deux ou trois douzaines d’hommes, la réunion de cette circonstance aux deux autres explique le maintien de la forme coopérative.

En dehors de ce débris des organisations d’autrefois, il s’est constitué, dans le courant de ce siècle, de nouveaux groupemens coopératifs : les uns d’un type pur, les autres d’un type hybride, et dont certains, parmi ces deux catégories, ont pris à la fois de la durée, de l’extension et de la prospérité.

Cette coopération moderne a été divisée en général en trois classes, suivant qu’elle s’applique au débit de marchandises de consommation courante, ou au crédit populaire, ou à la production proprement dite soit industrielle, soit agricole. On a distingué ce que l’on a appelé les sociétés coopératives de consommation et de distribution (distributive societies), les sociétés coopératives de crédit et les sociétés coopératives de production. Au point de vue de la terminologie et de la classification strictement scientifiques, quelques auteurs se sont élevés contre ce classement. Ils ont fait remarquer, par exemple, que la distribution ou le débit des marchandises produites est l’une des fonctions mêmes de la production, laquelle n’est vraiment achevée que lorsque les produits sont parvenus dans les mains des consommateurs.

Ainsi, il n’y aurait aucune justification scientifique à la distinction que l’on établit entre les sociétés de consommation et les sociétés de production. Cette remarque est fondée en principe ; il n’en est pas moins vrai qu’en pratique cette distinction, pour empirique qu’elle soit, rend de grands services. Aussi nous y conformerons-nous, sans oublier que les sociétés coopératives dites de consommation sont, souvent en même temps, par quelques côtés, des sociétés de production. La différence reste, cependant, sensible en général entre la société de production et la société de