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debout. M. Gladstone, alors au comble de sa popularité, — on l’appelait people’s William, — crut pouvoir se permettre ce que nul autre ministre, en ce siècle, ne se fût permis ; il fit une sorte de coup d’Etat, il passa outre à la résistance des lords en « décrétant » l’abolition de l’achat des grades au nom de la prérogative royale, et sous la forme d’un warrant émanant de la couronne. C’était à peine constitutionnel, tout juste légal, mais cela fut jugé délicieux. Tout est bon contre l’ennemi, et la Chambre des lords, c’était l’ennemi. Pourquoi M. Gladstone n’ose-t-il plus faire en 1893 ce qu’il osait en 1872 ? Pourquoi n’ose-t-il même pas s’en souvenir ni en parler ? Si vous le lui demandez, il ne vous ré pondra pas. Mais je réponds pour lui : parce qu’en 1872 il avait le peuple anglais derrière lui, et qu’en 1893 il l’a, sinon contre lui, du moins devant lui et sur son chemin.

Quant à la liste des méfaits commis par la Chambre des lords depuis le bill de réforme, on peut la grossir indéfiniment. Tous les dix ans environ un homme de bonne volonté la révise et la remet au point. En 1872, c’était M. F. Bowen Graves dans une série d’articles de la Fortnightly Review intitulés : Quarante années de la Chambre des lords. En 1881, un anonyme, dont j’ai le travail sous les yeux, reprend l’œuvre et le titre en mettant cinquante ans au lieu de quarante. Je ne serais nullement surpris d’apprendre qu’un piocheur d’avenir du parti libéral, qui a envie de devenir junior lord of the treasury, prépare un travail analogue, pour l’amour de M. Gladstone. Ces pamphlets montrent la Chambre des lords jouant le rôle du traître dans ce drame de la politique qui est si souvent une farce. Elle défend imperturbablement tous les monopoles, tous les privilèges ; elle est hostile à tous les progrès. On n’y oublie pas la légende de lord Darlington, revenant en poste pour voter contre le bill qui autorisait le premier chemin de fer, « parce que ce chemin de fer passait près des réserves où gîtaient ses renards et mettait en péril ses plaisirs de chasseur ». D’où le lecteur ignorant infère, sans même y réfléchir, que s’il n’avait tenu qu’aux pairs, il n’y aurait pas encore de chemins de fer en Angleterre.

En soixante ans, les pairs, qui possèdent l’initiative, n’ont-ils laissé aucun monument de leurs travaux nocturnes ? N’ont-ils pas mis au monde une seule loi ? Pardon, répond avec une douce mais pénétrante ironie l’auteur de Fifty years of the House of lords : ils ont créé quelque chose, ils ont doté l’Angleterre de… l’alderman. Comme on encastre un débris gothique en une bâtisse neuve, ils ont inséré l’alderman anglo-saxon, cette vieillerie sans usage défini et sans raison d’exister, au beau milieu du conseil