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devez admettre aussi que, si la Chambre des lords n’existait pas, le moment serait venu de l’inventer. Je l’ai entendu soutenir et je ne suis pas loin de le croire.

Tout d’abord, il importe de ne pas attribuer à la Chambre des lords un caractère archaïque qu’elle n’a point. Il ne faut point se la figurer comme un aréopage de vieillards à tête branlante, endormis sur leurs sièges d’un sommeil magique depuis plusieurs siècles. La Chambre des lords est moderne par deux raisons. D’abord elle contient un certain nombre de jeunes gens puisqu’on peut y prendre séance à vingt et un ans. Puis, la plupart des pairies actuellement existantes ne remontent pas au-delà du commencement de ce siècle. Ce qui caractérise la Chambre haute, c’est qu’elle est une assemblée de propriétaires. On y introduit de temps à autre quelques supériorités intellectuelles, mais elles ne s’y acclimatent point. Tennyson n’y a paru que deux fois en dix ans. On y fait entrer aussi de vieux légistes, nécessaires à l’accomplissement des fonctions juridiques de la haute assemblée, et bon nombre d’anciens hommes d’Etat fatigués qui ont « cessé de plaire » et dont la voix ne domine plus les orages de la Chambre des communes. Tous gens capables et diserts dont la présence, la parole habile et discrète donnent aux débats le caractère d’une conversation académique où les coups de boutoir sont remplacés par des coups de patte. Ces intrus, sauf quelques exceptions, sont très vite assimilés et prennent les idées ambiantes, mais ils les prennent trop. Il leur reste toujours un je ne sais quoi du parvenu. Ils demeurent jusqu’au bout ce qu’ils ont été : hommes d’Etat, hommes d’affaires ou hommes de loi. Le pair n’existe, dans sa perfection, dans sa plénitude, qu’à la seconde génération. Alors il sera pair en tout et avant tout, à travers toutes les fonctions dont il pourra être revêtu. Son trait distinctif est une sorte d’in dolence aisée et confiante, particulière à ceux qui sont nés dans la pourpre et qui sied assez bien au représentant de l’idée de perpétuité.

Les pairs sont choisis surtout parmi les membres de la noblesse de second ordre ou dans ces familles qui possèdent le sol, sinon depuis la conquête, au moins depuis la Réforme et depuis la spoliation des couvens. Et, en effet, une iniquité commise il y a trois cents ans commande le respect, surtout s’il s’y mêle un peu de cette sanglante violence qui, à distance, poétise et grandit tout. Les fortunes modernes deviennent aussi un titre à la pairie dès que les actions de chemins de fer font mine de se changer en prairies et en forêts. L’essentiel est d’être riche. Un lord pauvre estime monstruosité, un scandale. Ceux à qui ce malheur arrive se jettent dans des aventures pitoyables et dans de baroques