Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courir aux tuyaux. Mais cela aurait passé vite. Leurs fils seraient par faits. Au bout de trente ans, la Chambre des lords serait un peu plus conservatrice.

On fera peut-être remarquer qu’un certain nombre de personnes siègent dans la haute Chambre qui ne sont point investies de ce caractère d’hérédité. Les évêques d’abord, puis les pairs irlandais, dont la dignité est viagère, et les pairs écossais nommés seulement pour la durée d’une session. Mais ces exceptions confirment la règle. Pairs écossais et pairs irlandais ne sont que les délégués d’un corps de noblesse où les titres sont transmissibles de père en fils. Donc, eux aussi, ils représentent le principe de l’hérédité absolue. Quant aux prélats, on doute qu’ils soient véritablement pairs d’Angleterre, pleno et optimo jure. On comprendra que je ne puisse entrer ici dans les détails de l’argumentation, mais je me couvrirai du nom de lord Farnborough (si longtemps secrétaire des communes sous le nom d’Erskine May) ; c’est la première autorité en matière de coutume parlementaire.

Toutes les fois que des ennemis perfides ou des sauveurs mal inspirés ont essayé de réformer la Chambre des lords en substituant l’inamovibilité à l’hérédité, cette tentative s’est heurtée à une opposition ouverte ou à une sourde et invincible mauvaise volonté ; elle a invariablement échoué. En 1856, le gouvernement conféra à un célèbre jurisconsulte des lettres patentes qui le nommaient pair, sa vie durant. Lord Lyndhurst provoqua, à ce sujet, une discussion qui a été recueillie en un gros volume. L’idée fondamentale, génératrice, qui aurait dû dominer tous ces discours s’y trouve noyée sous d’innombrables minuties. Il arrive souvent aux assemblées, comme aux hommes, défaire leur devoir sans bien savoir pourquoi, par je ne sais quel obscur instinct de la vie, analogue à celui qui pousse la plante à s’orienter vers le soleil. Cette discussion aboutit au vote d’une résolution, et les termes en étaient assez clairs pour que le gouvernement crût devoir déchirer les lettres patentes. Vingt ans plus tard, sous prétexte de faciliter à la haute assemblée l’exercice de ses attributions comme cour suprême de judicature, ou l’enrichit de quelques légistes nommés à titre viager. Elle les subit avec une répugnance marquée. En 1888, une loi plus générale, introduite avec une certaine solennité, donne à la reine le droit de créer des pairs à vie. Cette fois, le fiasco est complet, la loi est morte avant d’avoir existé. Les lifers, — on les appelle, d’avance et par dérision, du même nom que les forçats à perpétuité, — ne pourront jamais prendre racine au milieu des pairs héréditaires. On commence à reconnaître qu’il faut supprimer les pairs ou les laisser