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La guerre civile entre Antoine et Octave (32 av. J.-C.) fournit à Hérode une belle occasion de montrer son habileté politique. Il voulait d’abord se joindre avec une armée à Antoine ; Cléopâtre lui ordonna d’aller combattre le roi nabatéen, dont elle ne recevait plus régulièrement le tribut. Ce fut pour lui un bonheur immense. La bataille d’Actium (2 septembre 31) se livra sans lui. Par la défaite d’Antoine, il perdait un puissant protecteur ; mais du même coup il était débarrassé de Cléopâtre, sa pire ennemie. Sans attendre la mort d’Antoine et de Cléopâtre, qui n’eut lieu qu’un an après, Hérode prit son parti avec décision et résolut de se rendre auprès d’Octave. Pour plus de sûreté, cependant, il fit, avant de partir, tuer le vieil Hyrcan, âgé de plus de quatre-vingts ans, qui pouvait rallier encore les légitimistes du parti asmonéen. Chaque absence de Jérusalem mettait le soupçonneux Hérode dans des transes ; il se rassurait en faisant mettre à mort ceux qui lui paraissaient pour le moment les plus dangereux[1].

Au printemps de l’an 30, il vit Auguste à Rhodes. En l’abordant, il se dépouilla des ornemens royaux, parut en suppliant. Il avait été un parfait ami d’Antoine : il aurait la même amitié pour Octave ; son amitié ne ferait que changer de nom. C’était sincère : Hérode était bien décidé à être toujours pour le Romain le plus puissant. Octave le crut sans peine et le confirma dans tous ses titres. Pendant l’été de l’an 30, il reçut Octave à Acre, puis il aida efficacement l’armée romaine dans les marches d’été le long de la côte de Palestine.

En août de l’an 30, après la mort d’Antoine et de Cléopâtre, Hérode vit Octave de nouveau. Il gagna cette fois pleinement sa partie. Auguste lui rendit Jéricho et tout ce qu’Antoine avait retranché de son domaine ; il y ajouta quelques villes : Gadare, Hippos, Samarie, Gaza, Anthédon, Joppé et la tour de Straton. Hérode accompagna le vainqueur jusqu’à Antioche. L’année qui devait, selon les apparences, entraîner sa perte avait été bonne pour lui. Il avait échangé la protection d’un patron fantaisiste, destiné à mal finir, dominé qu’il était par la femme la plus dangereuse du monde, contre l’appui du patron le plus sûr, destiné comme lui à durer de longues années.

L’année suivante (29) fut horrible. Malgré tout ce qui s’était passé, Hérode aimait plus éperdument que jamais la séduisante et altière Mariamne. Celle-ci, à ce qu’il paraît, sans repousser entièrement ce beau lion terrible, l’aimait beaucoup moins. Mais

  1. C’est cette disposition, bien aperçue par le sentiment populaire, qui créa la légende chrétienne (Matth., II), Hérode faisant tuer tout, dès qu’il entend parler d’un roi des Juifs autre que lui.