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refusa nettement de modifier le système neutre. Le régent, dit-il, désirait vivement « complaire à la volonté de Sa Majesté, mais ne pouvait suivre les sentimens de son cœur à cause du préjudice grave et irréparable qui en résulterait pour ses sujets et sa couronne ». Il soutint que nulle infraction sérieuse au traité de neutralité n’en justifiait la rupture, qu’une alliance avec la France contre l’Angleterre ferait perdre au Portugal ses colonies, ruinerait son commerce et affamerait Lisbonne[1]. C’était bien l’argumentation que Junot avait prévue, et. il n’y avait pas à espérer qu’on s’en écartât jamais : l’ambassadeur en transmettant ce document à Paris s’exprima là-dessus avec précision et laissa même entendre (l’avenir devait montrer sa clairvoyance) que le prince, plutôt que de céder, s’embarquerait pour le Brésil[2].

Toutefois et quelle que fût sa conviction personnelle, il jugea et avec raison qu’il était de son devoir de maintenir fermement la politique dont il était le représentant et d’insister en tout cas pour le prompt départ du convoi anglais, dont la présence prolongée était en réalité inadmissible. Il envoya donc, le 9 mai, une note sévère à M. d’Araujo. L’Angleterre, disait-il, affectait de considérer le Portugal comme une de ses colonies, puisqu’elle y faisait stationner ses escadres : le cabinet de Lisbonne était hors d’état de maintenir sa. neutralité. Dans celle situation, l’ambassadeur ne pouvait « résider dans un pays occupé par une armée anglaise, et demandait les ordres de l’empereur ». Il exprimait son regret de voir le Portugal ne pas comprendre ses vrais intérêts et « s’attirer ainsi de grands malheurs ». Enfin il se déclarait « affligé d’interrompre des relations qu’il avait espéré suivre avec succès pour l’avantage des deux couronnes[3]. » Ce document était un véritable ultimatum.

Assurément, s’il ne se fût agi que de l’alliance proposée, une telle communication eût été excessive, car il eût fallu donner au Portugal le temps de réfléchir et à soi-même les apparences des bons procédés et les délais de la discussion. Mais le séjour du convoi anglais qui avait l’air d’une bravade, l’inaction suspecte du prince régent en face d’un pareil acte, changeaient en vérité l’aspect des choses et ne permettaient point de lenteur, il convenait ici de protester. Junot était d’autant mieux fondé à tenir un langage comminatoire que Nelson croisait aux environs avec une flotte de vingt vaisseaux, et pouvait, favorisé par les forces anglaises qui avaient pénétré dans le Tage, tenter un coup sur Lisbonne. En

  1. Arch. des Affaires étrangères. Note de M. d’Araujo, 8 mai 1805.
  2. Ibid. Lettre de Junot à l’empereur, 9 mai.
  3. Ibid. Note de Junot à M. d’Araujo, 9 mai.