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tout ce qui charme les yeux et les oreilles, et l’homme qui aspirait à renouveler dans son corps la passion du Christ, conversait avec les hirondelles et bénissait les alouettes. Tout au contraire des hérétiques de son temps, des Cathares, qui méprisaient la matière et la tenaient pour le principe du mal, il retrouvait l’invisible dans ce qui se voit et l’immuable dans les choses qui passent ; il adorait le divin sous toutes ses formes, il se sentait en communion avec tous les êtres, et, en vrai platonicien, « il se faisait de toute créature un degré pour remonter à Dieu. » On lit dans les Fioretti qu’il arriva un jour dans une bourgade, en compagnie de frère Masseo, qui avait grand’faim, qu’après avoir quêté ils se rejoignirent, hors de la ville, dans un lieu ombragé où se trouvait, près d’une source limpide, une belle et large pierre. François poussa un cri de joie : « Oh ! frère Masseo, quel trésor ! » À quoi Masseo, qui n’avait pas des yeux de poète, répondit : « Père, comment peux-tu parler de trésor ? Je ne vois ici ni nappe, ni couteau, ni écuelle, ni maison, ni table, ni serviteur, ni servante. — Et voilà justement notre trésor, répliqua-t-il. Cette pierre si belle, cette fontaine si claire, tout nous est fourni par la Providence, Dieu lui-même s’est mis à notre service. » Encore un coup, le cardinal Hugolin mérite-t-il un blâme sévère pour avoir cru que le Poverello était plus admirable qu’imitable, que lorsqu’on donne des lois à un ordre destiné à se répandre sur toute la terre, il est bon de songer aux Masseo que les belles pierres et les eaux limpides ne consolent de rien ?

Si François d’Assise fut le plus conséquent de tous les apôtres monastiques, il fut aussi le plus humain, celui qui a pour nous le plus de séduction et d’attrait. Jamais âme ne fut plus souple et plus riche en contrastes. Ce visionnaire, qui fut si souvent ravi en extase, avait un exquis naturel, une bienheureuse simplicité, qui faisait dire à Celano « que, plus saint que les saints, au milieu des pécheurs, il était comme l’un d’eux. » C’est le secret de son charme, auquel n’ont résisté ni les philosophes ni tel théologien rationaliste. Il en est de lui comme du livre de l’Imitation, où les hommes les plus opposés d’idées et d’opinions trouvent leur pâture, et qui était cher au fondateur du positivisme. Pour goûter passionnément ce livre, comme pour admirer les actes et les paroles de ce saint, il n’est pas nécessaire de croire ; il suffit d’avoir vécu, aimé et souffert.


G. VALBERT.