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Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/236

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la priorité et la discussion des traités de commerce prit l’allure d’un tournoi en règle entre le protectionnisme de la ligue des agriculteurs (Bund der Landwirthe) et le libéralisme modéré du gouvernement. La campagne a été menée d’un côté par MM. de Manteuffel, de Ploetz et de Limburg-Stirum, de l’autre par les ministres Berlepsch et Marschall et par le chancelier en personne. Il s’agissait d’approuver les traités conclus avec l’Espagne, la Serbie et la Roumanie.

Avec l’Espagne, sans avoir obtenu gain de cause pour les droits d’entrée sur l’alcool, qui leur tenaient principalement à cœur, les négociateurs allemands ont assuré, par des abaissemens de taxes, pour quelques-uns de leurs articles d’exportation, tels que la farine de pommes de terre, l’accès du marché espagnol. Avec la Serbie, l’expiration du traité austro-serbe, qui accordait à l’Autriche-Hongrie des conditions plus favorables qu’à l’Allemagne, permet à cette dernière de lutter désormais à armes égales, en se faisant reconnaître à Belgrade les mêmes avantages qu’à sa voisine. Au sujet de la Roumanie, le débat eut à Berlin des proportions beaucoup plus amples, d’abord parce que la Roumanie, beaucoup plus que les précédens États, est en mesure de faire concurrence aux agriculteurs allemands ; ensuite parce que l’on voyait dans l’accord avec cette puissance la préface d’un arrangement avec la Russie.

« Si vous tuez le paysan, s’écriait le docteur Sigl, l’un des chefs les plus fougueux de la démocratie rurale, comment voulez-vous qu’il s’intéresse encore aux destinées de la patrie ? » Mais le chancelier a posé la question sur son vrai terrain et a nettement montré de quel côté se trouvait l’intérêt national, lorsqu’il a dit : « L’agriculture allemande ne suffit pas pour nourrir la population, qui s’accroît annuellement de 500 000 individus ; l’industrie seule est en mesure de la suppléer. Il est par conséquent nécessaire de mettre l’industrie à même d’exporter. Nous nous sommes trouvés devant ce dilemme : Exporter des marchandises ou des hommes. »

La victoire est demeurée au gouvernement, à 34 voix de majorité, grâce à la coalition des progressistes, des Polonais et des socialistes. C’était par une majorité à peu près semblable, 37 voix, mais composée d’élémens différens, qu’avait été votée au commencement du mois la motion du centre catholique en vue d’obtenir, dans l’empire allemand, la jouissance du droit commun pour les membres de la Compagnie de Jésus et des autres ordres modernes expulsés en 1872, un an avant l’explosion du Kulturkampf. Cette fois le gouvernement était resté neutre ; du moins ses représentans ont gardé le silence pendant la discussion. Parmi les 173 voix qui se prononcèrent en faveur de la liberté religieuse figuraient, à côté de celles du centre et des catholiques polonais et alsaciens, celles des socialistes eux-mêmes, qui ont eu, en cette occasion, la spirituelle crânerie de rester fidèles à leurs principes.