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lieu qui produisirent la plus grande révolution religieuse de l’histoire, une révolution qui n’a pas encore dit son dernier mot.

IV

Par la reconstruction du temple, Hérode compléta une similitude qui dut être rappelée fréquemment dans les harangues de ses adulateurs. C’était vraiment un « nouveau Salomon » que celui qui avait procuré à ses États une prospérité sans exemple, accumulé des richesses, goûté des jouissances infinies, construit des palais merveilleux, donné la paix à ses sujets, bâti le temple de Dieu. Pour plusieurs, c’était là un haut éloge ; pour d’autres, il s’y mêlait les pensées d’une philosophie triste. Toutes ces splendeurs ne pouvaient rien contre la vieillesse, la maladie, la mort. Le roi employait tous les artifices pour dissimuler son âge, se teignait les cheveux ; rien n’y faisait. Le créateur de tant de merveilles arrivait à sa fin, sans savoir ce qui se passerait après lui, sans savoir à qui seraient ces trésors, ces palais. Sa vie n’avait été qu’une série d’inquiétudes, de soucis. Et, en définitive, à quoi bon travailler ainsi pour le vide ? Vanité des vanités[1] !

Le premier Salomon avait été perdu par les femmes ; le second le fut aussi. Hérode fut marié dix fois ; on lui connaît au moins quinze enfans. Toujours la coutume juive avait reconnu aux rois le droit d’avoir plusieurs femmes. Les Asmonéens, cependant, ne paraissent jamais avoir profité de ce droit. Hérode en usa largement. Sa grande faute fut son mariage avec Mariamne l’Asmonéenne, qui introduisit dans sa famille les prétentions dynastiques contre lesquelles il avait lutté victorieusement au début de sa carrière. Nous avons vu cette situation contre nature aboutir au meurtre de Mariamne, suivi d’affreux remords. Douze ans après, la situation se reproduisit presque la même. Alexandre et Aristobule, les fils de Mariamne, revinrent de Rome, où ils avaient fait leur éducation dans le monde le plus brillant. Ils plurent beaucoup à Jérusalem ; on leur trouva de la dignité, un air tout royal ; on se souvint de leur mère, de leurs ancêtres, souverains légitimes du pays. Ils eurent un parti : les princes sont presque toujours perdus par leur parti.

Le soupçonneux Hérode ne fut pas sans voir tout cela. Sa sœur Salomé, pleine d’une haine sombre contre tout ce qui restait du sang asmonéen, et son frère Phérore envenimèrent la chose. On calomnia les jeunes princes ; peut-être aussi ne furent-ils pas

  1. Ecclésiaste, II, 20 et suiv. C’est ce qui porte à placer sous Hérode la composition de l’Ecclésiaste ; mais nous croyons le livre un peu plus ancien.