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Russie ; elles savaient que, sincèrement liées, il n’y avait rien que ces deux puissances ne pussent entreprendre et que le premier effet de leur union serait de replacer la France dans le rang qui lui appartenait et dont ses derniers revers l’avaient fait déchoir. Dans l’alliance russe, la maison de Bourbon aurait trouvé la seule garantie peut-être qui put la mettre à l’abri des dangers qui la menaçaient encore ; c’est là ce qu’on ne voulait pas à Vienne et à Londres ; voilà ce qu’on n’a pas voulu voir aux Tuileries ; c’est là qu’est, à mes yeux, la faute de M. de Talleyrand. Il ne faut pas perdre de vue que la maison de Bourbon était arrivée d’Angleterre dans des dispositions qui la rendaient facile à égarer sur ce point ; le devoir d’un ministre fidèle était, loin de l’y pousser, de la retenir sur cette pente.

J’ai dit que l’Autriche et l’Angleterre savaient bien qu’elles n’auraient pas la guerre avec la Russie et qu’elles étaient décidées à tout faire pour l’éviter. En effet, dès le 12 janvier, M. de Metternich fit passer au ministre de Prusse un contre-projet dans lequel toutes les prétentions sur les lignes de la Wartha, pour la Prusse, et de la Neva pour l’Autriche, étaient abandonnées et où on consentait à laisser le duché de Varsovie presque entier à la Russie. Le débat n’existait plus que sur la portion de la Saxe qui serait réservée au roi de Saxe et sur la portion abandonnée à la Prusse, à laquelle les plus amples dédommagemens étaient d’ailleurs offerts sur le Rhin. Ainsi l’empereur Alexandre se trouvait personnellement désintéressé. Il était fort probable que ses conseillers lui feraient entendre qu’il ne fallait pas courir les hasards d’une rupture, pour un intérêt qui n’était pas le sien, pour une cause qu’il ne soutenait que par générosité. Que lui importait que la Prusse fût plus ou moins compacte ? Ce qu’il avait voulu, pour le repos de l’Europe, l’Allemagne, qui y était particulièrement intéressée, le repoussait ; la France, qui aurait dû l’appuyer très chaudement, le combattait avec acharnement. Il y aurait une véritable folie à se compromettre plus longtemps pour l’exécution d’un plan que ne savaient pas apprécier ceux-là mêmes qui y étaient le plus intéressés. Dès lors, le rapprochement ne tarda pas à s’opérer. On ne discuta plus que sur quelques points de détail, sur l’étendue des réunions qui seraient faites à la Prusse, tant en Westphalie que sur les bords du Rhin et principalement sur la plus ou moins grande quantité d’âmes (c’était l’expression usitée) qui serait donnée en Saxe au roi de Prusse, ou qui serait laissée au roi de Saxe.

Le débat, ainsi circonscrit, dura encore pendant tout le mois de janvier. L’empereur Alexandre finit par consentir à céder à la